L’arrêt de la C.E.D.H. du 4 avril 2018 (affaire CORREIA DE MATOS contre Portugal n° 56402/12) déjà commenté en ce blog, est passionnant en ce qu’il joint, à la décision, l’ensemble des opinions dissidentes. En effet, l’arrêt a été pris à une majorité de 9 voix contre 8. C’est le troisième enseignement de cet arrêt.
L’arrêt va donc être publié avec les opinions dissidentes de tous les juges minoritaires, opinions longuement développées. Ces juges ont défendu l’idée qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1er et § 3C. Ils ont repris l’analyse comparée des législations des Etats membres, du droit pénal international, du droit international des droits de l’homme et ont appliqué ces principes au cas d’espèce.
Le premier juge dissident a estimé que les juridictions portugaises ont toutes outre passées la marge d’appréciation qui est laissée aux Etats dans le choix des mesures propres à garantir les droits des citoyens. Il ne conteste pas la possibilité pour une législation de prévoir l’obligation d’avoir un avocat. Il considère qu’en l’espèce cette obligation n’était pas appropriée en l’espèce.
Deux autres juges ont plutôt fondé leur opinion dissidente sur le fait que l’interdiction absolue de se défendre soi-même, imposée par le Portugal, représentait une anomalie parmi les 35 pays que la Cour a étudié. Au terme d’une véritable contre-analyse, ces deux juges proposent une autre décision dans « l’intérêt de la justice ». Ils estiment qu’on ne peut imposer un avocat et qu’il faut respecter, dans chaque pays, le droit d’assurer soi-même sa défense. Ces deux juges (PINTO DE ALBUQUERQUE et SAJO) terminent leur réquisitoire par la mise en garde « cet arrêt annonce un retour vers les penchants d’un passé sombre et tourmenté de l’Europe où les accusés étaient considérés comme des objets aux mains d’Etats tout-puissants qui pouvaient leur imposer, même contre leur gré, ce qu’ils jugeaient être leur intérêt ».
Deux autres juges (PEJCHAL et WOJTYCZEK) fondent leur opinion dissidente uniquement sur les faits et circonstances de l’affaire et concluent que « les restrictions imposées à l’accusé dans la présente espèce ont empêché de déterminer la manière de conduire sa défense et ont donc porté atteinte à la substance du droit de se défendre garantie par l’article 6 §3C de la Convention ». Ces deux juges regrettent l’arrêt pris à la majorité qui constitue pour eux une mesure « paternaliste qui réduit le droit fondamental de se défendre soi-même au droit à être défendu ».
Enfin, le juge BOSNJAK, également dissident, considère que « comme n’importe quel principe de droit, l’autonomie de l’accusé dans le choix de sa défense peut avoir des limites et le tribunal conduisant le procès pénal peut être appelé à intervenir, par exemple en désignant un avocat pour assister l’accusé, contrairement au souhait exprimé par celui-ci d’assurer lui-même sa défense ». Toutefois, cette intervention doit se justifier par des raisons convaincantes voire impérieuses (diminution d’autonomie de l’accusé en raison d’une maladie, d’un handicap, de l’âge, situation de vulnérabilité de l’accusé, …). Il faut alors examiner si le requérant doit être considéré comme incapable de se défendre effectivement lui-même.
Le juge conclut qu’en l’espèce « l’immixtion dans l’autonomie dont jouissait le requérant pour assurer sa défense dans son procès pénal n’avait aucune justification raisonnable et concrète et n’était pas équitable ».
Quelle leçon !
Au moment où le Premier Président de la Cour de Cassation veut redonner du tonus à sa juridiction, il devrait examiner les arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ce n’est pas le filtrage qui fait la grandeur de la Cour. C’est le caractère pédagogique de l’ensemble des arrêts qui sont rendus qui non seulement se fondent sur la Convention mais également examinent le droit de l’Union Européenne, le droit international, les législations comparées des Etats et permettent, à chaque juge, de développer d’éventuelles opinions dissidentes. Il ne s’agit pas de remettre en question l’arrêt. Il s’agit d’exprimer d’autres positions argumentées.
Si la Cour de Cassation, en France, adoptait ce principe, elle s’honorerait et donnerait à tous ses détracteurs, une leçon quant aux libertés et au Droit.
Michel BENICHOU