C’est un arrêt d’espèce qu’a rendu la CEDH le 28 août 2008 (n°25038/13 TUHEIAVA / FRANCE).
En l’espèce, un avocat devient Sénateur et semble se désintéresser du suivi de son cabinet.
Les plaintes auprès du Bâtonnier se multiplient de la part de clients, de confrères …
Une procédure disciplinaire est ouverte et il sera condamné à deux ans de suspension (interdiction d’exercer) dont une année avec sursis.
Avant d’arriver à cette condamnation il y a eu enquête déontologique.
Le Bâtonnier a procédé à une visite dans le cabinet d’avocat en l’absence de l’avocat concerné. Il est entré dans les locaux du cabinet. Il a consulté des documents sociaux, fiscaux et comptables. Le Bâtonnier intervenait en considérant de son pouvoir disciplinaire.
C’est le Bâtonnier qui avait décidé cette visite agissant dans le cadre de l’enquête.
Pour critiquer la mesure d’exercer devant les juridictions nationales l’avocat sanctionné avait demandé la nullité de cette enquête déontologique et dès lors la nullité de la procédure disciplinaire.
Finalement, invoquant l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (droit au respect de la vie privée et familiale) il a saisi la CEDH en indiquant que la visite du Bâtonnier dans son cabinet, alors qu’il était absent, avait méconnu son droit au respect du domicile.
Accessoirement, il s’est fondé sur l’article 6 concernant le procès équitable.
La CEDH considère que la visite constituait bien une ingérence mais qu’elle était « prévue par la loi » et poursuivait « un but légitime, à savoir la défense de l’ordre public, la prévention des infractions pénales et la protection des droits et libertés d’autrui ».
La Cour a constaté qu’il n’y avait aucune atteinte au secret professionnel. La motivation est intéressante puisque la Cour indique que l’ingérence n’est pas le fait d’une autorité extérieure à la profession mais au contraire réalisée par un Bâtonnier, lui-même avocat, et soumis au secret professionnel qu’il a par ailleurs pour mission de défendre dans l’intérêt de tous les confrères de son barreau.
C’est la consécration du secret partagé entre le Bâtonnier et l’avocat. Il n’y a pas de violation du secret professionnel. On peut penser dès lors que les relations notamment épistolaires entre l’avocat et le Bâtonnier sont protégées par le secret contrairement à ce qu’a affirmé la Cour de Cassation. La CEDH à cette occasion rappelle que dans l’exercice de leur profession les avocats doivent bénéficier d’une protection particulière.
Nous sommes dans un arrêt purement factuel. Il faut espérer que cela ne valide pas toute ingérence dans les cabinets d’avocats ou toute perquisition.
La Cour, en l’espèce, a rejeté la requête. Elle avait également noté que tous les éléments recueillis lors de la visite domiciliaire de l’avocat lui avaient été communiqués et avaient fait l’objet d’un débat contradictoire lors de l’audience fixée devant le Conseil de l’Ordre. Le requérant y était présent et avait été assisté d’un avocat.
Cette affaire est donc particulière. Elle ne ressemble en rien à une autre affaire jugée également par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (20 septembre 2018 n°68762/14 et 71200/14 ALIYVE / AZERBAIDJIAN). En l’espèce, il s’agissait d’un avocat défenseur des droits de l’homme. On avait perquisitionné son domicile et les locaux de son association. On l’a placé en détention du fait de ses activités de défense. Différents documents ont été saisis alors même qu’il s’agissait de dossiers pendant devant la CEDH. Les tribunaux nationaux ont rejeté les plaintes de Maître ALIYVE. La CEDH considère qu’il y a eu une violation des articles 8 et 18 de la Convention. La condamnation sur le fondement de l’article 18 est originale. La Cour a estimé que les restrictions imposées à Maître ALIYVE avaient pour objectif de le réduire au silence et à le punir, que dès lors elles ne poursuivaient aucun des buts légitimes prévus par la Convention.
Michel BENICHOU