Sur une requête introduite par une avocate à BAYONNE, ancien bâtonnier de ce barreau, Maître MENDIBOURE, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu à se prononcer sur les fichiers d’empreintes génétiques. Un agriculteur manifestant s’était vu arrêté à la suite d’une bousculade entre les manifestants et la gendarmerie. Il a été placé en garde-à-vue puis cité devant le Tribunal Correctionnel de BAYONNE selon la procédure de comparution immédiate pour avoir volontairement commis des violences n’ayant entrainé aucune ITT sur une personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme. En l’espèce, c’était un parapluie…
Selon un premier jugement du Tribunal Correctionnel, il est condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis. Il n’y a pas d’appel. Quelques mois après, suite à une demande du Parquet, il est convoqué par les services de police pour que soit effectué un prélèvement biologique sur sa personne. Il refuse. Il est convoqué devant le Tribunal Correctionnel. On le condamne à une peine d’amende. La Cour d'Appel de PAU confirme le jugement. Elle indique que le requérant n’était pas soupçonné mais condamné pour une infraction ce qui excluait qu’il puisse invoquer l’arrêt S. & Marper c/ Royaume-Uni (n° 30562/04 et 30566/04, C.E.D.H. 2008) pour faire valoir une atteinte disproportionnée à sa vie privée. La Cour se fonde également sur les dispositions d’une décision du Conseil Constitutionnel du 16 septembre 2010. Le requérant forma un pourvoi en cassation qui a été rejeté.
La Cour Européenne rappelle, dans un premier temps, toutes les dispositions concernant le fichier national automatisé des empreintes génétiques. Elle reprend la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-25 RPC et la jurisprudence pertinente de la Cour de Cassation. Puis après avoir rappelé les arguments du requérant et du Gouvernement, procède à une appréciation claire. La Cour recherche le juste équilibre. En particulier, elle estime que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental dans l’exercice du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention. La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne seraient pas conformes aux garanties prévues par cet article. Il doit donc y avoir une protection efficace contre les usages impropres et abusifs. Sur ce point, la Cour estime que l’inscription sur le fichier n’emporte, en elle-même, aucune autre obligation à la charge de l’intéressé et obéit à des modalités de consultation suffisamment encadrées. Mais, la C.E.D.H. relève que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 10 septembre 2006, avait estimé que les dispositions relatives au fichier incriminé étaient conformes à la Constitution sous réserve, entre autres, « de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte-tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées » (paragraphe 15). Or, la réserve n’a pas reçu de suite appropriée. Aucune différentiation n’est prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise et ce « nonobstant l’importante disparité des décisions susceptibles de se présenter dans le champ de l’application de l’article 706-55 du CPP » (article créant le fichier…). On y traite en effet des infractions sexuelles, du terrorisme, des crimes de l’humanité, de la traite des êtres humains, …
Par ailleurs, la Cour relève que la procédure d’effacement n’existe que pour les personnes soupçonnées et non pour celles qui ont été condamnées. Or, les personnes condamnées devraient également se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées pour que la durée de la conservation soit proportionnelle à la nature des infractions. Dès lors, la Cour estime que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement n’offre pas en raison tant de sa durée que dans l’absence de possibilité d’effacement une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. » La France a donc outrepassé sa marge d’appréciation. La condamnation pénale du requérant s’analyse donc en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. Il y a violation de l’article 8 de la Convention.
L’Etat français a été condamné à deux fois 3.000 euros.
La France si elle veut conserver son fichier, devra nécessairement se conformer aux demandes de la Cour Européenne soit :
moduler la durée de la conservation en fonction du délit ou du crime,
prévoir, dans toutes hypothèses, une procédure d’effacement.
Cela démontre, une nouvelle fois, que la vigilance d’une avocate peut permettre des avancées sur le plan de la protection des libertés et de la vie privée des citoyens.
Il faut indiquer que, dans le même temps, une décision de la C.E.D.H. du 22 juin 2017 a débouté des requérants français d’une demande similaire concernant le refus de se soumettre à un prélèvement biologique et leur condamnation car ceux-ci avaient introduit leur requête devant la Cour Européenne sans avoir préalablement épuisé les voies de recours internes. Ils arguaient qu’il existait des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours devant la Cour de Cassation. La Cour Européenne leur répond que cela ne peut suffire car, le fait d’indiquer que le recours serait « voué à l’échec » ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question.
Deux méthodes, deux connaissances différentes de la procédure devant la Cour Européenne, deux résultats exactement opposés.
Michel BENICHOU