L’affaire CORREIA DE MATOS (arrêt C.E.D.H. du 4 avril 2018 n° 56402/12), déjà évoquée en ce blog, révèle d’autres enseignements. On pourrait ainsi rappeler la question du délai raisonnable devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
En effet, Monsieur CORREIA DE MATOS a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 4 aout 2012. Son instance s’est terminée devant la Cour que le 4 avril 2018 soit 6 années pour traiter de cette affaire.
Pourtant, la requête ne se heurtait à aucun motif d’irrecevabilité.
Mais, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, après avoir examiné les législations des 35 pays adhérant à la Convention, le droit de l’Union Européenne, le droit international, a posé le principe d’un droit de se défendre soi-même en mesurant son étendue.
Elle considère que la mesure consistant à imposer la représentation par un avocat inscrit au Barreau est prise en faveur de l’accusé et vise à garantir une bonne défense de ses intérêts dans le cadre des poursuites. Elle avait déjà rendu d’autres arrêts en ce sens dont, déjà, un premier arrêt CORREIA DE MATOS, le requérant étant un plaideur récidiviste. Toutefois, la Cour indique que les autorités nationales doivent tenir compte des souhaits de l’accusé quant à son choix de représentation en justice mais « peuvent passer outre s’il existe des motifs pertinents et suffisants que les intérêts de la justice commandent ».
Puis, la Cour va plus loin en examinant le rôle des tribunaux et des avocats dans l’administration de la justice. C’est le second enseignement de cet arrêt.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme réaffirme que les avocats jouent un rôle très important dans l’administration de la justice. Elle a souvent rappelé que le statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice. Elle a souligné que pour croire en l’administration de la justice, le public doit également avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables. De ce rôle particulier des avocats, professionnels indépendants, dans l’administration de la justice, découle un certain nombre d’obligations notamment dans leur conduite qui doivent être empruntes de discrétion, d’honnêteté et de dignité. Dans la règlementation n° R(2000) 21 sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a souligné que « la profession d’avocat devait être exercée de manière à renforcer l’Etat de Droit. Par ailleurs, les principes applicables à la profession d’avocat renferment des valeurs telles que la dignité, l’honneur et la probité, le respect de la confraternité et la contribution à une bonne administration de la justice (Charte du C.C.B.E.) ».
La C.E.D.H. va déterminer le critère pertinent quant à la représentation des justiciables. Elle pose les principes suivants :
L’article 6 § 1 et 3 de la Convention ne donnent pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui- même de la manière dont sa défense doit être assurée,
Le choix entre les deux options mentionnées dans cette disposition, à savoir d’une part le droit pour l’intéressé de se défendre lui-même, et d’autre part son droit à être représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le Tribunal, relève en principe de la législation applicable ou du règlement de procédure du tribunal concerné,
Pour effectuer ce choix, les Etats membres jouissent d’une marge d’appréciation qui n’est toutefois pas illimitée.
Enfin, la Cour doit examiner les circonstances concrètes et pratiques et notamment doit vérifier si l’accusé s’est vu donner la possibilité concrète de participer de manière effective à son procès. La C.E.DH., au vu des éléments spécifiques de l’espèce qui sont très bien décrits, peut constater la participation du requérant à l’instance de façon permanente et son souhait, non pas de contester les poursuites, mais uniquement de défendre son opposition de principe quant à l’obligation posée par le droit portugais d’être assisté par un avocat, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 6 § 1er et 3 de la Convention.
Michel BENICHOU