Le Premier Président de la Cour de Cassation, Monsieur LOUVEL, a transmis un projet à la Ministre de la Justice aux fins de créer une procédure de filtrage des pourvois. Il a été demandé à ce que cette procédure soit immédiatement intégrée dans l’actuel projet de loi sur la programmation de la Justice. Celui-ci doit passer prochainement (mi-avril) devant le Conseil des ministres puis être adopté dans la foulée par l’Assemblée Nationale. On a vu que l’urgence est désormais la règle et que la concertation n’existe plus. Il est donc probable que cela sera intégré.
On adopte une procédure semblable à celle d’autres pays européens qui sont extrêmement fermés aux pourvois. L’objectif de la Cour de Cassation est de devenir une sorte de Cour Suprême et non pas de régler les litiges des justiciables. Il lui faut donc, selon ses termes, établir une « véritable priorité dans le traitement et l’examen des recours ». Elle estime que 3/4 des pourvois sont voués à l’échec. Au prétexte d’une « égalité véritable entre les justiciables devant la Cour » on va immédiatement rejeter ceux qui « détournent la Cour de Cassation de sa mission naturelle » ! Pour ma part, je pensais que la mission naturelle de la Cour de Cassation était de juger mais c’était une erreur.
Il est extraordinaire de lire la lettre et le projet adressé par le Premier Président de la Cour de Cassation. Les éléments de langage sont patents. Il s’agit, selon la Cour, d’améliorer la qualité des décisions de justice et du service rendu aux justiciables ; la Cour aurait l’objectif de « discernement qualitatif » et le filtrage des pourvois participe à « ce vaste mouvement d’ouverture de l’accès au droit », … En bref, on habille une fermeture de l’accès au juge en une ouverture de l’accès au droit ! La rhétorique est admirable.
Mais l’objectif est plus large. Il s’agit de faire reconnaitre le 1er juge comme celui du commencement et l’achèvement normal du procès. En bref, ne nous embêtez ni en appel, ni en cassation. Dès lors, il y aura une obligation de concentrer les moyens au 1er degré de juridiction. Il faudra consacrer l’immutabilité du litige entre la 1ère instance et l’appel. L’appel sera limité au seul examen du jugement rendu au 1er degré. Plus de nouveaux moyens, plus de nouvelles pièces, plus de nouvelle analyse. Le message clair : surtout, n’ennuyez pas les juges en leur demandant de trancher des litiges dont ils semblent se moquer !
Michel BENICHOU