Cette question, étonnante, se pose actuellement en Belgique. En effet, le Secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Théo FRANCKEN, membre du parti nationaliste flamand (N-VA) a présenté devant le Conseil des ministres un projet de loi tendant à permettre aux magistrats d’infliger aux avocats, lorsqu’ils seraient auteurs de recours abusifs en droit des étrangers, des amendes allant de 125 à 2.500 euros.
Depuis quelques années, certains milieux, en Belgique et notamment le parti nationaliste flamand, se plaisent à répéter que les avocats pratiquant le droit des étrangers se rendraient coupables d’abus de procédure. Les Ordres, qu’il s’agisse de l’Ordre des barreaux francophones et germanophones, et/ou de l’Ordre des barreaux flamands, ont demandé des explications et surtout des exemples de procédure prétendument abusives. Le Secrétaire d’Etat a décidé de passer outre et a présenté ce projet de loi qui a été transmis au Conseil d’Etat belge pour avis.
Naturellement, il n’y a eu aucune concertation avec les Ordres préalablement à la présentation de ce texte en Conseil des ministres. Actuellement, le contenu exact du texte est encore au secret puisque le Conseil d’Etat ne s’est pas exprimé.
En fait, il s’agit de sanctionner encore les avocats pratiquant le droit des étrangers. La première sanction avait été financière. En matière d’aide juridictionnelle, alors que l’avocat était rémunéré 625 euros, une modification législative a fait qu’il n’est plus rémunéré que 50 euros nets. Puis, l’Office des Etrangers, dépendant de l’Etat, a adopté une pratique singulière visant à renforcer le travail des avocats. Lorsqu’un recours était engagé, par un étranger, assisté par un avocat, devant le Conseil du contentieux des étrangers (juridiction belge s’occupant de ces questions), la décision était systématiquement retirée puis une nouvelle décision était prise obligeant l’avocat à introduire un nouveau recours. Ensuite, l’Office des Etrangers a voulu interdire aux avocats de toucher des émoluments à l’aide juridictionnelle s’ils introduisaient plus de deux recours dans un dossier.
Enfin, on a introduit un système de sanction pour recours abusif, sanction qui pouvait être infligée par le Conseil contentieux des étrangers à l’étranger auteur du recours.
Finalement, on arrive à l’ultime sanction : celle directement contre l’avocat visant à le décourager d’assurer la défense des étrangers car l’objectif est uniquement de bloquer l’accès à la justice. Il s’agit, pour les plus démunis, les plus faibles de leur interdire d’avoir recours au juge. On veut, dans la voie de l’extrême populisme, flatter les bas instincts en démontrant qu’un gouvernement peut restreindre les droits des étrangers et que ceux-ci finalement n’ont pas le droit à la justice. Naturellement, en ce projet de loi, ce ne serait pas les Ordres qui seraient chargés de cette « discipline » mais directement les magistrats qui pourraient sanctionner les avocats. On réinvente, en Belgique, le délit d’audience au travers du recours abusif.
Les avocats belges ont d’ores et déjà annoncé qu’ils multiplieraient les recours contre ce texte qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du barreau.
Les avocats, défendant les étrangers, sont inquiets de cette stigmatisation et attendent une solidarité sans faille des autres avocats.
Mais, cette situation pourrait-elle se dérouler en France ? Il faut rappeler que l’article 698 du Code civil permet de réclamer aux avocats les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution injustifiés qu’ils auraient rédigés ou qui seraient nuls par leur faute.
Il est vrai que ce texte est rarement appliqué.
Michel BENICHOU