Enfin, une première réaction a été publiée après la proposition de texte visant à réformer l’accès au Juge de Cassation.
Monsieur Thierry LE BARS, Professeur de Droit Privé, Université de CAEN, intervient dans la Gazette du Palais du 10 avril 2018 et qualifie les propositions de réforme de « consternantes ».
Il estime qu’elles sont d’une « extrême gravité ».
Selon le texte proposé, il faudra, pour former un pourvoi en cassation, obtenir une autorisation préalable d’une formation de la Cour de Cassation composée du président de la Chambre concernée, d’un Doyen et d’un Conseiller.
Le demandeur aura trois mois pour faire cette demande, à compter de la notification de la décision critiquée.
Le demandeur devra se faire représenter par un avocat au Conseil lorsque la procédure est avec représentation obligatoire, avec les frais inhérents à son intervention.
Seuls seront autorisés les pourvois soulevant « une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit », ceux qui soulèvent « une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence » et ceux qui mettent « en cause une atteinte grave à un droit fondamental ».
Dès lors, les pourvois seront rares !
Ils seront éliminés avant même d’être formés.
On va alléger le rôle de la Cour de Cassation et c’est le but recherché.
Seules seront amenées devant la Cour de Cassation les difficultés d’application ou d’interprétation d’un texte qui ne sont pas encore résolues ou les dossiers dans lesquels la situation juridique aura changé du fait d’une transformation économique, sociale, scientifique ou sociétale, nécessitant une évolution jurisprudentielle.
Quant à l’unification de la jurisprudence, cela correspondrait à une hypothèse de divergence avérée d’interprétation ou d’application de la loi soit entre une ou plusieurs Cours d’Appel et la Cour de Cassation, soit entre des Cours d’Appel, soit enfin entre Chambres de la Cour de Cassation.
Il ne s’agira donc pas d’un filtrage mais d’un barrage.
Quant à la violation des droits fondamentaux, il ne s’agira que de violations « graves ». A la Cour de Cassation, on ne s’intéresse pas aux « petites » violations des droits de l’homme ou des droits fondamentaux.
Par ailleurs, il est prévu une nouvelle rédaction de l’article 614 du code de procédure civile : « Le pourvoi incident d’une partie, dont la demande d’autorisation à former pourvoi principal a été rejetée, est irrecevable ».
Ainsi, si l’intimé n’a pas formé de demande principale pour interjeter pourvoi en cassation, son pourvoi incident sera accepté. En revanche, malheur à celui qui a voulu faire un pourvoi et dont la demande a été rejetée. Il sera irrecevable même pour un pourvoi incident.
C’est une règle punitive.
Enfin, pour compléter le dispositif on supprimera l’effet suspensif de l’appel. Les décisions de première instance seront toutes exécutoires.
La Cour de Cassation n’aurait plus, avec cette réforme, ni contrôle de motivation, ni contrôle normatif.
Quant aux arguments avancés par le Premier Président pour accomplir cette réforme, ils sont stupéfiants.
On parle d’un open data en plein développement (quel rapport ?) ; on prévoit de donner une « véritable portée aux principes constitutionnels d’égalité de tous devant la loi et aux droits des justiciables à disposer d’un recours effectif ». En bref, on ferme le pourvoi pour donner le droit aux justiciables de recourir aux juges !
Le Professeur LE BARS pose une intéressante question. Si cette réforme est motivée par les seules préoccupations budgétaires, il serait utile de réfléchir à une disposition radicale : supprimer la Cour de Cassation. « Si elle se cantonne à faire de la doctrine et à créer des règles de droit, on pourrait se passer d’elle. Nous disposons déjà d’une doctrine assez étoffée et d’un législateur hyperactif … ».
Pour le citoyen, pour les avocats il n’y aura qu’un seul recours possible : l’Europe, celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Elles ne se prennent pas pour des Cours Suprêmes. Elles respectent l’accès aux juges. Elles n’entendent pas devenir un pouvoir judiciaire.
La profession d’avocat et ses institutions sont taisantes face à cette réforme annoncée, trop mobilisées à sauver les juridictions d’instance, de grande instance et d’appel.
Michel BENICHOU