Tôt ou tard, devant la CJUE, se posera la question du financement des cabinets d’avocat. Au Royaume-Uni, les alternatives business structures (ABS) existent depuis plusieurs années, sans un succès considérable. Il s’est surtout agi de créer des filiales pour des compagnies d’assurances, des banques, des entreprises commerciales ou autres. L’expérience australienne de cabinets cotés en bourse, s’est terminée par un désastre financier pour les actionnaires mais également pour le cabinet concerné (Slater & Gordon).
Néanmoins, le financement de nouvelles activités, l’innovation sont essentiels pour les avocats. Les cabinets doivent croitre. Il faudra trouver les éléments combinant financement et garanties de l’indépendance des avocats. L’aile marchande de la profession, toujours prête à sacrifier au Marché, envisage le financement – sans limites – des cabinets d’avocats par des capitaux extérieurs. Ils sont certains que l’avocat conservera son « indépendance intellectuelle ». Ce sera surement grâce à une « clause de conscience » telle qu’existe dans le domaine du journalisme et qui permet, du jour au lendemain, à un journaliste de quitter les lieux, … pour pointer à Pôle Emploi.
Le Tribunal fédéral suisse vient de rendre une décision fondamentale (15 décembre 2017, 2C_1054/2016) [décision déjà commentée en ce blog]. Les avocats du Canton de Zurich avaient créé une étude d’avocats organisée sous la forme d’une société anonyme avec des actionnaires extérieurs. Cela a été validé par la commission de surveillance du Canton de Zurich en 2008 puis dans d’autres barreaux. En 2015, la commission du Barreau de Genève a rejeté la demande d’agrément de cette société anonyme aux fins de d’installer dans le Canton de Genève. L’affaire est remontée devant le Tribunal fédéral suisse qui constate que l’un des actionnaires et les membres du conseil d’administration de la société n’étaient pas des avocats. Le tribunal est clair. L’exercice de la profession au sein de cette société avec des actionnaires extérieurs ne permet pas d’assurer le respect des règles professionnelles en particulier la garantie de l’indépendance et du secret professionnel de l’avocat. Il ajoute que l’avocat doit être en mesure de pratiquer en toute indépendance et que, dans le cadre d’une société organisée sous forme d’une personne morale, l’indépendance ne peut être assurée que si l’actionnariat est composé uniquement d’avocats inscrits, eux-mêmes soumis aux règles professionnels et à la surveillance disciplinaire. Dans la mesure où l’un des associés (actionnaire) n’est pas un avocat, la présence de cette personne au sein du conseil d’administration de la société met, en outre, en péril le secret professionnel de l’avocat.
Il ne s’agissait pas de capitaux majoritaires. Il ne s’agissait que d’un actionnaire et d’une personne au conseil d’administration. Le tribunal suisse a rappelé qu’il ne s’agissait pas seulement d’une violation d’une règle professionnelle qui, par essence, peut être temporaire mais d’un principe essentiel : l’indépendance.
Michel BENICHOU