La question du statut de l’avocat et de son indépendance a intéressé la Cour lorsqu’elle a rendu des décisions concernant le « secret professionnel » des avocats-salariés d’entreprise.
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La C.J.C.E., en son arrêt célèbre AM & S Europe contre Commission (affaire 155/79) du 18 mai 1982, refuse qu’un avocat-salarié d’une entreprise puisse arguer de la confidentialité d’une correspondance. Cette confidentialité n’est possible qu’à deux conditions : La première est qu’il s’agisse de correspondances échangées aux fins du droit de la défense du client. La seconde est que cette correspondance émane d’un avocat indépendant, c’est-à -dire non lié au client par un rapport d’emploi.
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En 2003, le tribunal de première instance des communautés européennes statue, en référés, le 30 octobre dans une affaire (AKZO NOBEL CHEMICALS T-123/03). Il admet que les correspondances échangées avec un avocat employé de façon permanente par une entreprise peuvent éventuellement bénéficier de la protection du secret professionnel dès lors que cet avocat est soumis à des règles déontologiques de même degré que celles s’imposant à un avocat indépendant.
Le tribunal fait néanmons la différence entre l’avocat soumis et l’avocat indépendant.
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C’était une ouverture mais la même juridiction, le 17 septembre 2017, avec les mêmes parties, statuant au fond, s’est finalement prononcée en défaveur de l’extension du secret professionnel aux avocats en rapport d’emploi et a estimé que cette prérogative du secret ne se justifiait que dans la mesure où les avocats étaient indépendants. La Cour est allée plus loin. Dans l’affaire PUKE et Pologne contre Commission Européenne, C422/11 et C423/11 du 6 septembre 2012, la Cour, face à l’introduction d’une requête par deux avocats soumis à un rapport d’emploi et introduisant cette requête pour le compte de leur employeur, a estimé que le rapport d’emploi unissant les conseils avec le requérant n’était pas compatible avec la représentation. La Cour a rappelé que « la conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union, qui émane des traditions communes des Etats membres, et sur laquelle l’article 19 du statut de la Cour se fonde, est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin … Or, l’exigence d’indépendance de l’avocat implique l’absence de tout rapport d’emploi entre ce dernier et son client… Elle ajoute « les arguments des requérants cherchant à démontrer qu’un avocat qui est employé par le client qu’il représente jouit du même degré d’indépendance à l’égard de ce dernier qu’un avocat exerçant à titre indépendant sont dépourvus de pertinence… ». C’est une réponse directe à un article publié récemment (Loïc TUSSEAU : De l’indépendance intellectuelle à l’indépendance statutaire du directeur juridique (Gazette du Palais 27 février 2018).
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La Cour de Justice de l’Union Européenne a donc porté un coup fatal à l’avocat en entreprise. Il ne peut y avoir des sous-catégories d’avocat, certains seulement bénéficiant du secret professionnel. L’avocat en entreprise n’est pas un avocat pour la Cour de Justice car il n’est et ne sera pas indépendant. Le juriste d’entreprise doit donc bénéficier du « legal privilège ».
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Le Conseil d'Etat, en sa décision du 28 janvier 2018 (Conférence des Bâtonniers et autres, n° 403101) annulant la décision des 1er et 2 juillet 2016 du Conseil National des Barreaux modifiant l’article 15.2.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, ne semble pas dire autre chose. Le rapporteur public avait rappelé que les avocats étaient « aujourd’hui, soumis non seulement à l’interdiction faite de se salarier à une entreprise mais aussi à l’obligation de conserver une forme d’indépendance vis-à -vis des clients. Même si on peut penser que le domicile serait loué à l’entreprise, il nous semble que la liberté et donc l’indépendance de l’avocat qui exerce physiquement au sein d’une entreprise, qui est un client important, ne sont pas les mêmes qu’en l’absence de ce lien de domiciliation… ». Le Conseil d'Etat a donc annulé cette possibilité prévue par le CNB pour l’avocat d’ouvrir un bureau secondaire au sein d’une entreprise en considérant que « ces conditions d’exercice sont susceptibles de placer les avocats concernés dans une situation de dépendance matérielle et fonctionnelle vis-à -vis de l’entreprise qui les héberge et mettre ainsi en cause les règles essentielles régissant la profession d’avocat d’indépendance et de respect du secret professionnel ».
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Michel BENICHOU