La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient, une nouvelle fois, de s’exprimer concernant la liberté d’expression. Un conseiller municipal, faisant partie de la majorité municipale, a soulevé diverses irrégularités concernant des procédures d’attribution de marché relatifs à des travaux dans la commune. Il écrivit au Préfet, à la Chambre régionale des comptes puis, dans une séance du conseil municipal, a accusé le maire et la première adjointe d’escroquerie et a demandé leur démission.
Le quotidien régional a repris ses propos. Le Procureur de la République a été saisi. L’élu municipal continue en diffusant un tract reprenant les accusations d’escroquerie.
Il a été poursuivi devant la juridiction pénale avec le directeur de la publication du quotidien régional. Ce dernier est relaxé. L’élu est condamné à une amende et des dommages-intérêts.
Il fait appel et la Cour lui refuse le bénéfice de la bonne foi. Il porte l’affaire devant la Cour de Cassation qui déclare le pourvoi non-admis puis devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur le fondement de l’article 10 de la Convention qui commence ainsi « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière … ».
La requête a été déclarée recevable et la Cour a examiné la thèse du requérant et du Gouvernement français. Elle a rappelé que la liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique. Notant que le requérant était un élu, elle a considéré qu’il avait un rôle de « vigie » et d’alerte de la population notamment dans le domaine spécifique des marchés publics dont il était en charge. Or, « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du Peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences dans la liberté d’expression d’un élu du Peuple, tel le requérant, commande à la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts » (voir arrêt Jérusalem c/ Autriche, n° 26958/95, C.E.D.H 2001). La cour estime que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un responsable politique visé en cette qualité que d’un simple particulier.
De plus, la Cour considère que les propos, tenus au conseil municipal puis dans un tract visaient à mettre en lumière et à informer des électeurs d’irrégularités et donc relevaient du cadre d’un débat d’intérêt général pour la collectivité sur lequel le requérant avait le droit de communiquer des informations au public. Or, « dans une démocratie, le parlement ou des organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique. » Toute ingérence dans leur liberté d’exception ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux.
La Cour note, par ailleurs, que le requérant avait signifié une offre de preuve de la véracité des faits imputés au maire et à son adjointe mais qu’il a été déchu par les juridictions internes du droit de faire la preuve de la vérité des faits poursuivis pour des motifs procéduraux liés à son élection du domicile… Or, entre temps, l’élu avait saisi le Préfet et la Chambre régionale des comptes, les faits révélés avaient entrainé une enquête préliminaire. La Cour estime donc que les propos, même s’ils ont été tenus sur le ton de l’invective, étaient fondés sur une base factuelle suffisante.
Dès lors, le prononcé d’une condamnation pénale à l’encontre du requérant a été considéré comme l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, « eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles ».
Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention (affaire LACROIX c/ la France, requête 41519/12 arrêt 7 septembre 2017.
Arrêt après arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme repousse les limites de cette liberté d’expression et renforce le droit, notamment pour les personnes publiques et élus, d’expression. C’est également le cas pour les particuliers lorsqu’ils s’adressent à des élus. On se souvient de l’arrêt concernant les propos tenus par un particulier, lors d’une manifestation, à l’encontre d’un ancien président de la République.
Michel BENICHOU