Dans le statut de la magistrature, les conflits d’intérêt sont clairement définis. Il s’agit de « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraitre influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Cela étant posé, comment ces conflits d’intérêt pourraient-ils apparaitre ? C’est le Conseil de l’Europe qui a permis d’avancer sur cette question. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté le 17 novembre 2010 un texte sur le statut des juges en Europe et a souligné le risque de conflit d’intérêt. Pour suppléer à ce risque, il a suggéré aux Etats membres de rendre public les informations relatives aux activités supplémentaires des juges et, notamment, au moyen de répertoires d’intérêt.
La France a estimé nécessaire de soumettre le juge à une déclaration d’intérêts depuis la loi du 8 aout 2016. Cela concerne également les juges administratifs depuis la loi du 20 avril 2016 et les juges consulaires depuis celle du 18 novembre 2016.
Ainsi, tout magistrat qui prend de nouvelles fonctions doit remettre dans les deux mois de son arrivée une déclaration complète et sincère de ses intérêts. Cela donnera lieu à un « entretien déontologique » avec le magistrat auquel cette déclaration a été remise.
Ainsi, cette déclaration d’intérêt n’est pas connue des avocats ou des justiciables. Elle n’est connue que du supérieur hiérarchique auquel a été remis ledit document.
En matière de transparence, on fait mieux !
Cette déclaration est entrée en vigueur à compter du 5 mai 2017. Elle concernera d’abord les magistrats installés en septembre 2017 puis, dans un délai de 18 mois, les magistrats déjà installés. La Chancellerie n’a diffusé qu’un formulaire de déclaration le 31 octobre 2017… donc avec du retard !
Il faudra donc, en présence d’un conflit d’intérêt, que le magistrat, avec son chef de juridiction, trouve les solutions permettant de régler ce litige (hors la connaissance des tiers). On connait la situation de couples magistrat-avocat exerçant dans le même tribunal. On connait des magistrats qui sont, depuis de très longues années, engagés dans des associations ou dans des activités diverses qui leur permettent de connaitre, notamment dans des petites villes ou des villes moyennes, un grand nombre d’habitants avec lesquels ils ont noué des liens très forts.
En cas de conflit entre le chef de juridiction et le magistrat, ce dernier aura la possibilité de saisir le collège de déontologie. Toutefois, son rôle est extrêmement limité puisqu’il s’agira d’identifier la situation de conflit ou d’intérêt mais non à y remédier ou à suggérer des solutions.
Enfin, si en dépit de l’avis ferme du chef de juridiction, le magistrat refuse de renoncer à une activité ou à modifier sa position et reste en situation de conflit d’intérêt, il sera susceptible de poursuites disciplinaires et pénales (3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende).
Il est regrettable que la France n’ait pas choisi la voie d’autres pays. Aux Etats-Unis, les membres de la Cour Suprême sont soumis à une déclaration d’intérêt actualisée chaque année et rendue publique. La recommandation du Conseil d’Europe visait aussi cette publicité.
Michel BENICHOU