Le Conseil d'Etat, en son assemblée, a eu à trancher cette question par arrêt du 13 avril 2018 (n° 410939).
Le Général de Gaulle a beaucoup écrit et on relevait 313 brouillons de manuscrits, de télégrammes rédigés entre le 10 décembre 1940 et le 11 décembre 1942. C’était l’objet du litige opposant leur propriétaire (une société privée), le Musée des lettres et manuscrits et l’Etat. En effet, l’Etat, utilisant l’article L212-1 du Code du patrimoine, avait introduit une action en revendication d’archives publiques devant le juge judiciaire. Si le Tribunal de Grande Instance de PARIS avait donné gain de cause à l’Etat, la Cour d'Appel de PARIS avait renvoyé la question de la nature publique ou privée des documents au Tribunal Administratif de PARIS. Celui-ci a conclu au caractère public. Le Conseil d'Etat a été saisi.
La Cour d'Appel avait rappelé que « tous documents procédant de l’activité de l’Etat constituent, par nature, une archive publique ». Toutefois, pendant cette période, Vichy se proclamait comme Etat Français. Les documents tenant de l’activité de la France Libre correspondent-ils à la définition du Code du Patrimoine et sont-ils des archives publiques.
L’article 1er de l’Ordonnance du 9 aout 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental indique « la forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit, celle-ci n’a pas cessé d’exister. ». L’article 2 de cette ordonnance annulait tous les actes constitutionnels, législatifs ou règlementaires ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu’au rétablissement du gouvernement provisoire de la République Française.
Il faut noter que cet article prévoyait que « cette nullité doit être expressément constatée ». On sait parfaitement que cela n’a pas été le cas pour tous les textes. Finalement, le Conseil d'Etat en tire les conséquences. La France Libre et la France combattante, puis le comité français de la libération nationale et le gouvernement provisoire de la République Française ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République. Les documents qui émanent de ces institutions et de leurs dirigeants et représentants « procèdent de l’activité de l’Etat et constituent, dès lors, des archives publiques ». Le débat est clos. Le juge a tranché en droit concernant l’Histoire. Il faut noter qu’à cette occasion le Conseil d'Etat a complété et rappelé sa jurisprudence concernant le caractère fautif des actes commis par le régime de Vichy, la réparation nécessaire et la responsabilité de la puissance publique.
Le Conseil d'Etat a estimé que le débiteur de la responsabilité des agissements de l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’Etat Français » et de l’administration française qui en dépendait, ne peut être que l’Etat. Le Conseil d'Etat est en phase avec l’Histoire telle qu’elle s’est développée depuis les années 1970 sous l’influence d’historiens américains (Robert PAXTON notamment), c’est-à-dire que ce sont bien des français, une administration française, une gendarmerie et une police française qui ont commis des agissements inacceptables et répréhensibles en suivant les ordres de l’Allemagne nazie, mais aussi de leur propre initiative. Il faut rappeler que le statut des juifs promulgué par PETAIN allait au-delà des exigences de l’Allemagne nazie.
Ainsi, les brouillons de télégrammes et autres documents rédigés par le Général de Gaulle seront considérés comme des archives publiques et conservées par l’Etat.
Michel BENICHOU