Le 23 juin 2016, les britanniques décidaient de quitter l’Union Européenne. Depuis cette date, tous les sondages démontrent, mois après mois, qu’ils voteraient toujours, majoritairement, pour ce départ avec constance. Les anglais ne regrettent rien et sont fiers de leur vote.
Le Parlement britannique, dans sa grande sagesse, a approuvé le 13 mars 2017 la loi autorisant le Gouvernement à déclencher le BREXIT. Immédiatement Madame MAY, Premier Ministre, a adressé sa lettre déclenchant la procédure de sortie, telle que prévue par l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne. Les négociations ont donc commencé (lentement). Beaucoup de britanniques, d’européens sont tristes à ces nouvelles. En réalité, il ne le faut pas.
Ce sont majoritairement les votes anglais et gallois qui l’ont emportés au détriment des écossais et irlandais qui voulaient rester dans l’Union. Ce sont les anciens, les plus expérimentés, ceux qui connaissent le mieux la Grande-Bretagne et le continent qui ont choisi cette voie contre les jeunes qui n’avaient en vue que leurs intérêts égoïstes et voulaient rester européens. Ce sont les campagnes, les petites villes, la Grande-Bretagne profonde, celle qui a vu disparaitre les services publics, qui a des emplois sous-qualifiés, peu d’immigration mais suffisamment pour avoir peur, qui a permis ce vote générant le départ vers le grand large de la Grande-Bretagne.
Certains ne comprennent toujours pas les raisons qui les ont amenés à prendre une telle décision. Le Royaume-Uni quitte l’Union alors qu’il avait tout obtenu. Il existe un élargissement de l’Union Européenne mais sans approfondissement et sans changement des institutions à la demande de la Grande-Bretagne. En dépit de cet élargissement et d’un budget plus important, alors que les contributions de la plupart des pays ont augmenté, le Royaume-Uni a obtenu un rabais budgétaire. Il a gardé tous ses avantages d’accès au marché intérieur et a imposé, à l’Europe, une politique plus libérale. Dans les politiques cruciales de l’Union Européenne, il bénéficie de dérogations. Il ne fait pas partie de la zone euro. Il ne collabore pas à l’espace SCHENGEN. Il a décidé d’exercer son option d’opt out concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il a un contrôle national sur ses affaires étrangères et sa défense alors que les autres pays européens ont décidé de faire confiance au ministre des affaires européennes de l’Union. Il dispose d’un droit de véto dans ces deux domaines et peut freiner, à tout moment, toutes initiatives de la Commission Européenne ou du Conseil. Parallèlement, il continue à accroitre son commerce extérieur. Il a réussi à imposer, de manière accrue, le principe de subsidiarité et a pu empêcher l’adoption de tout symbole fédéraliste. Il a fait de l’Europe un marché, un simple marché. Sa plus grande victoire est que les 27 autres pays, au sein des institutions européennes, parlent l’anglais. Toute réunion commence et se finit en anglais. L’impérialisme linguistique est total. En bref, comme disait Winston Churchill : « nous sommes avec l’Europe mais pas européens ».
Comment donc expliquer qu’alors que la victoire était totale, les britanniques aient décidé de se retirer ?
Certains ont évoqué le racisme, la xénophobie, le ras le bol à l’égard des élites, le nationalisme exacerbé, la haine des eurocrates. Mais c’est mal connaitre le peuple britannique. La réalité est simple : ils se sont sacrifiés, avec courage et désintéressement, pour sauver l’Union Européenne. Ils sont prêts à accepter le départ de 10 à 15.000 personnes de la City pour Francfort ou Dublin (mais ce n’est que 4% du personnel) ; ils tolèrent une économie ralentie et une croissance inférieure à ce qui était prévu ; ils ne s’inquiètent pas de l’inflation générée par ce départ et d’une livre dévaluée ; ils sont prêts à mettre en place pour 2019 un nouveau système d’immigration qui les privera des compétences des travailleurs européens et les obligera à vivre entre eux ; ils savent qu’ils ont eu raison.
Que ce serait-il passé si le « remain » avait gagné ? Monsieur David CAMERON, alors premier ministre, disparu de la scène politique après le vote, aurait été le premier gouvernant à avoir gagné un référendum sur l’Europe depuis de longues années et alors même que la vague populiste, anti-européenne, anti-eurocrate, augmente et prospère. Cela lui aurait donné un leadership particulier dans l’Union Européenne.
Ce vote favorable (qui aurait été dans les mêmes proportions que le vote défavorable, c’est-à-dire extrêmement serré) aurait permis au Royaume-Uni de continuer à revendiquer des concessions permanentes de l’Union Européenne et il les aurait toutes obtenues. Pour éviter un nouveau vote, un éventuel départ, il aurait encore fallu avancer dans l’unique voie du marché, dans l’abandon des symboles européens, dans la renonciation aux politiques communes. Il eut fallu abandonner l’Europe.
Il n’aurait plus été question d’une quelconque fédération des pays européens mais simplement d’une zone de libre-échange permettant aux britanniques de vendre leurs services, d’acheter quelques produits et de développer leur présence dans le Commonwealth. Il n’y aurait plus eu de partage de souveraineté. Il n’aurait pas été question d’une politique de défense commune puisque les britanniques n’en veulent pas. Il aurait été impossible de développer des politiques communes en matière d’affaires étrangères et de réagir, ensemble, au dumping agressif chinois ou aux dernières provocations de Monsieur TRUMP. Le Royaume-Uni aurait, une nouvelle fois, rappelé les liens historiques qui le lient aux Etats-Unis. D’ailleurs, l’ile prenant le large, le premier voyage de Madame MAY à l’étranger a été pour rencontrer Monsieur TRUMP et ce quelque soit sa politique ou ses déclarations. Il n’y aurait pas eu de projet de Parlement de la zone euro ou de ministre des finances même si la Grande-Bretagne n’a jamais adopté l’euro. Il n’y aurait pas eu de fonds d’investissement commun. Le débat lui-même aurait été impossible.
Tout cela les anglais l’avaient compris. Ils ont voulu, avec dignité et honneur, s’effacer pour laisser l’Europe se construire. Ils sont même prêts à assumer un Royaume Désuni. Si le Pays de Galle restera fidèle à l’Angleterre comme il l’est depuis son annexion en 1536, l’Ecosse, dont l’annexion est plus récente (1707), manifeste déjà une nouvelle volonté d’indépendance. Madame STURGEON, premier ministre d’Ecosse, a annoncé souhaiter une nouvelle consultation au printemps 2019 soit avant la fin des discussions avec l’Union Européenne. Les irlandais ont voté majoritairement pour le « remain ». Certains irlandais du Nord commercent à faire valoir leur droit à l’indépendance pour rester dans la zone européenne après le BREXIT. Ils savent que le résultat de ce référendum rebat les cartes en Irlande du Nord et que cela n’augure rien de bon pour le processus de paix.
Les anglais, lucidement, ont accepté ce divorce et la facture qui s’en suivra. La discussion sur le montant de cette rupture conventionnelle constituera la première étape des négociations, étape imposée par l’Union Européenne contre la volonté des britanniques. On dit que la facture sera lourde. On parle de 60 milliards d’euros. Mais l’histoire des négociations diplomatiques démontrent qu’il ne faut jamais sous-estimer nos amis britanniques. Toute l’administration du pays est tendue vers la négociation pour le BREXIT. Ce dossier est important pour les 27 pays de l’Union Européenne. Il est fondamental pour la Grande-Bretagne. Nos amis britanniques savent négocier ; ils vont encore le démontrer.
Naturellement, il s’en suivra diverses fractures comme celle de la question des frontières et notamment entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, celle de l’accès au marché unique qui inquiètent industriels et prestataires de services britanniques comme leurs homologues européens, du rôle de la Cour de Justice de l’Union Européenne, dont les britanniques ne veulent plus mais qui, pour les européens, est incontournable, et enfin, la question essentielle des citoyens expatriés.
L’immigration européenne dans le Royaume s’élève à 3 millions de personnes dont plus de 2 millions ont un emploi. Cela représente 17% de la main d’œuvre britannique. 55.000 européens travaillent dans le service public et notamment celui de la santé. 43% des travailleurs dans les usines de conditionnement et de conserverie sont européens.
Le solde migratoire net est en faveur des européens et ce fût une question essentielle pour le vote en faveur du BREXIT. Quitter l’Union Européenne permettait, selon certains, de maitriser l’immigration. Pour les français, cela règlera peut être la question des migrants parqués à Calais et sur les côtes de La Manche, désireux de gagner l’Angleterre, paradis de l’emploi. Jusqu’à présent, en vertu d’un traité bilatéral, ils restaient en France tout en ne souhaitant pas y demeurer définitivement. Espérons que le BREXIT leur permettra de passer en Angleterre pour y faire leur vie.
De leur côté, les britanniques sont plus de 2 millions dans l’Union Européenne avec une majorité en Espagne, en Irlande et en France. Mais, ces deux émigrations n’ont pas le même poids économique. En Grande-Bretagne, ce sont des travailleurs européens avec leurs familles. En Espagne, en France et dans les pays du Sud de l’Europe, ce sont des retraités anglais avec leurs économies (mais avec un coût important pour les systèmes de santé locaux).
Ainsi, nos amis britanniques partent. Lors du passionnant colloque organisé par la Délégation des Barreaux de France sur le « BREXIT, un an après … », certains ont imaginé bâtir un futur qui conservera, sur le continent, l’esprit anglais. On a imaginé que des tribunaux français, en tout cas quelques tribunaux parisiens, accepteraient un déroulement de leurs débats en anglais et rendraient, au nom du Peuple Français, des décisions en langue anglaise. Chez certains, cela a paru susciter un grand enthousiasme. D’autres, au contraire, ont cru à une marque d’humour anglais. Or, le ministère de la justice envisage effectivement, devant la Cour d'Appel de PARIS, de créer une chambre qui pourrait débattre en anglais et rendre les décisions sur la base de la Common Law. Il est surement conforté par la décision de la Cour Administrative d'Appel de PARIS en date du 21 mars 2017 (association Avenir de la Langue française) qui a débouté de sa requête une association qui voulait empêcher l’Ecole Normale Supérieure de mettre en place un Master dont les enseignements seront dispensés en langue anglaise, conformément à la loi FIORASO du 22 juillet 2013. Enseignement en langue anglaise, justice en langue anglaise, on a en ce colloque, entendu une voix prétendre que tout cela avait été calculé depuis l’origine par nos amis britanniques.
Il faut donc accepter ce vote mais, avec un bémol. Pour les avocats, les priorités sont simples. Il s’agit de protéger les citoyens et de maintenir leur sécurité juridique. Il faut favoriser la coopération en matière civile et pénale. Il faut permettre aux britanniques de continuer d’utiliser des outils fondamentaux comme le mandat européen, les processus d’extradition, la force exécutoire des jugements. Il faut faire en sorte que la Grande-Bretagne reste membre du Conseil de l’Europe et accepte les décisions rendues par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il s’agit aussi, pour les avocats, d’imaginer une liberté de circulation des services juridiques et une liberté d’installation en préservant les droits acquis des avocats européens installés en Grande-Bretagne et ceux des avocats anglais installés sur le continent tout en réglant les questions de réciprocité. Naturellement, il conviendra que chacun agisse dans une parfaite loyauté. Ainsi, on ne peut que s’étonner de voir le grand nombre de solicitors britanniques s’inscrire en Irlande du fait de l’accord d’agrément automatique qui existe. Sans une pratique réelle en Irlande, cette inscription ne pourrait être considérée que comme une tentative de fraude. Mais la seule règle qui existe entre nous est la confraternité. C’est cette amitié personnelle et professionnelle qui doit guider tous nos efforts.
Les britanniques vont partir. Leur sacrifice ne sera pas vain. Les européens sont en train de découvrir ce que l’Europe leur apporte et il suffit d’imaginer quitter l’Union Européenne pour voir tout ce que nous perdrions. Jamais, les européens n’ont semblé aussi unis sur le maintien de l’Union Européenne (pour des raisons différentes). L’Europe semble se sauver du populisme. 63 % des européens déclarent aimer l’Europe soit un bond de 18 % depuis le BREXIT.
Il faut retrouver une Europe des valeurs, autour des concepts de libertés et droits de l’Homme, de solidarité et d’égalité entre hommes et femmes, une Europe qui doit condamner fermement les dérives des gouvernements polonais ou hongrois et appliquer les sanctions adéquates.
Un seul mot s’impose, pour nos amis anglais, « THANK YOU ! ».
Michel BENICHOU