Pas un jour ne passe sans qu’il y ait un nouvel article concernant la justice prédictive. Les données judiciaires françaises seront prochainement donc d’exploitation libre et immédiate par tous. Certaines entreprises vont se spécialiser dans l’utilisation de cette masse de décisions. Aux Etats-Unis, c’est une pratique ancienne. Cela est normal puisque nous sommes dans des pays de Common Law où tout repose sur la jurisprudence. Certains sont extrêmement favorables à cette justice prédictive qui permettrait une efficacité supplémentaire. Ainsi, IBM, avec son système Watson, considère que leur système peut extraire des données très qualitatives d’une masse d’informations. Cela peut également aider les professionnels à choisir entre plusieurs options en étayant leur choix.
D’autres considèrent que cette justice prédictive a pour objectif le développement des modes alternatifs de règlement des conflits et surtout permettrait d’inciter les parties à renoncer au contentieux et à transiger rapidement. Tel est l’objectif de ces systèmes-experts de justice prédictive concernant les préjudices, les prestations compensatoires ou pensions alimentaires. L’objectif est donc bien la fin du contentieux de masse. Certains magistrats soutiennent ces éléments ainsi que le Ministère de la Justice. Toutefois, d’autres sont inquiets de cette rationalité et de cet aspect mécanique qui pourrait avoir des effets désastreux, les prémices d’un juge-robot.
Si un magistrat est « piégé » par cette justice prédictive, qu’en sera-t-il de son indépendance ? Comment va-t-il changer de jurisprudence alors même que depuis des années, voire des dizaines d’années, il attribue la même indemnisation pour le même type de préjudice ? Ne va-t-on pas lui reprocher une partialité en faveur d’une personne ? Comment faire pour que les compagnies d’assurance, les institutions n’utilisent pas cette justice prédictive contre l’accès à la Justice ? Comment s’assurer de la fiabilité de la personne qui recueille et utilise les données ? Un programme n’obéit pas à une loi. Il a été réalisé par un homme avec des objectifs particuliers dont celui du plus grand profit. On peut tout imaginer en cette matière et notamment un logiciel de justice prédictive qui pourrait, dans certaines matières, être dicté par le souci d’attribuer aux victimes une indemnisation moindre. Il suffirait alors de développer des systèmes-experts qui rassemblent des décisions d’indemnisations faibles.
Il n’y a aucune règlementation actuellement concernant cette justice prédictive. Il n’y a aucune protection de l’indépendance des magistrats face à ces systèmes-expert. Il n’y a aucune protection des justiciables. On veut désengorger les tribunaux à n’importe quel prix.
Le débat n’est pas neutre. Il conviendra que les avocats s’y intéressent directement.
Michel BENICHOU