A la suite de la loi du 7 octobre 2016, dite Loi LEMAIRE, chaque ministère doit prendre des décrets pour parvenir à cet open data. Le Ministère de la Justice n’y échappe pas puisque l’objectif est de mettre à la disposition gratuite du public toutes les décisions de justice rendues par les juridictions administratives et judiciaires. Une condition essentielle est l’anonymisation des décisions. Il s’agit de respecter la vie privée et de protéger les données personnelles.
Un groupe de travail a été désigné par le Ministère de la Justice, présidé par le Professeur Loïc CADIET. Un seul avocat était présent, entouré de magistrats. Il s’agit de notre confrère parisien Louis DEGOS représentant le C.N.B.. Finalement, le principe adopté a été celui de la pseudonymisation pour les parties. Mais qu’en est-il des noms des magistrats et des avocats ? Aucun consensus n’est intervenu au sein du groupe de travail et le débat a été renvoyé, pour être tranché, par le Ministre de la Justice. Le C.N.B. a indiqué être favorable au maintien du nom des avocats et, plus largement, des autres professionnels du droit dans les décisions de justice excepté lorsque ces derniers sont parties au jugement. Certains magistrats se sont opposés à cette indication en considérant que cela mettrait en danger, parfois, leur sécurité. Il est vrai que pour certaines décisions (grand banditisme, terrorisme, …), cela peut représenter un danger.
La seconde question a été celle de l’accès aux décisions non-anonymisées (dites décisions « intègres »). Les éditeurs juridiques jouent leur survie en discutant de l’accès payant à ses décisions. Les magistrats y ont déjà accès gratuitement. Les avocats ont réclamé de ne plus avoir à acheter ces décisions « intègres » mais bénéficier du même statut que les magistrats, comme professionnels du droit. Le débat est celui de l’accès à l’information juridique et du déséquilibre entre avocats et magistrats. Certains avocats n’ont pas les moyens de payer les abonnements réclamés par les éditeurs juridiques qui sont de plus en plus élevés. L’objectif est d’avoir accès à ce flux de décisions « intègres » via la clé RPVA.
Le nombre de décisions concernées est colossal puisqu’en 2016, toutes juridictions confondues, on arrive à près de 2.700.000 décisions rendues en matière civile et plus de 1.200.000 décisions en matière pénale. Il faut y ajouter les décisions administratives.
La question sera donc de faire le tri entre ces décisions pour trouver la décision adéquate dans le dossier dont vous êtes saisi.
Enfin, une mesure qui intéressera les plateformes legaltechs, la Commission recommande de permettre aux juridictions de rejeter les demandes de copies de décisions lorsque celles-ci sont abusives ou lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet la délivrance d’un nombre important de décisions.
Cette question est en lien avec celle de la justice prédictive. La Commission a fait une recommandation essentielle. Il s’agit de prévoir une obligation de transparence des algorithmes avec un contrôle (souple) de la puissance publique et l’adoption d’un dispositif de certification de qualité par un organisme indépendant.
On voit en effet se multiplier les logiciels pour une « justice prédictive » qui risque, rapidement, s’il n’existe pas de contrôle, de se transformer en une injustice prédictive.
Michel BENICHOU