On attend, on espère un Ministre de la Justice qui, enfin, romprait le lien hiérarchique entre la Chancellerie et le Parquet. La Cour Européenne des Droits de l’Homme avait, dans un arrêt célèbre, condamné cette pratique française de la subordination du Parquet à la Chancellerie en considérant que les procureurs n’étaient pas des magistrats.
Ce ministre ne sera pas Madame BELLOUBET. Elle a défendu le maintien d’un « lien puissant » entre la Chancellerie et le Parquet, un lien que « la Constitution exige » considère le Garde des Sceaux, constitutionaliste émérite.
Elle invoque l’article 20 de la Constitution qui prévoit ce lien en précisant que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Le Gouvernement n’entend pas renoncer à ce pouvoir. Il doit donc pouvoir fixer la politique pénale et les politiques publiques conduites par les procureurs. « Cela implique qu’il y aura évidemment un lien avec les procureurs par le biais de directives de politique générale. Mais cela ne nous interdit pas de réfléchir sur la nomination des membres du parquet ». En bref, elle fait une mince ouverture concernant le rôle du Conseil Supérieur de la Magistrature. Aujourd’hui, le Gouvernement peut nommer un magistrat du parquet contre l’avis du CSM. Depuis 2012, il s’est abstenu de le faire. Les magistrats demandent à ce que cette attitude soit consacrée par le droit. Le Président MACRON s’était, comme candidat, engagé à favoriser l’indépendance du parquet. Cela n’était possible que par une modification constitutionnelle mais le faible succès de son mouvement lors des élections sénatoriales l’handicape puisqu’il doit obtenir une majorité des 3/5ème du Parlement.
Certains syndicats de magistrats ont déjà réagi défavorablement à la déclaration de la ministre. Cette déclaration pose directement le problème du Parquet face à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il est probable que cette question va revenir la juridiction européenne et on attend avec impatience sa position. Elle pose également la question du parquet européen qui a été décidé le 12 octobre 2017 par les Ministres de la Justice de l’Union Européenne représentant 20 Etats. 8 Etats ont refusé (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, Suède, Irlande, Malte, Pologne et Hongrie). Pour le Royaume-Uni et le Danemark, c’est habituel. Pour la Pologne et la Hongrie, cela tient à l’attitude de leurs gouvernements actuels. C’est plus étonnant pour les Pays-Bas, la Suède, l’Irlande et Malte.
Un règlement portant création du parquet européen entrera en vigueur le 20ème jour suivant sa publication au Journal Officiel de l’Union Européenne. On pense qu’il sera opérationnel en 2020. Les Etats membres devront transposer la Directive 2017/1371 du Parlement Européen et du Conseil du 5 juillet 2017.
Toutefois, se posera la question de l’indépendance du Parquet européen. Le chef du parquet européen sera assisté d’un collège composé d’un procureur européen par Etat membre. Le règlement précité prévoit expressément que l’ensemble des membres du parquet, y compris le personnel administratif, devra agir dans l’intérêt exclusif de l’Union Européenne. Ils ne devront donc accepter d’instructions, d’ordres, d’aucune personne extérieure, d’aucun Etat membre, d’aucune institution, … Les Etats membres et les institutions européennes devront respecter l’indépendance du Parquet européen et ne pas chercher à l’influencer dans l’exercice de ses missions.
Ainsi, nous aurons un parquet français soumis avec un lien hiérarchique à la Chancellerie mais un procureur français délégué auprès du Parquet européen qui, lui, sera considéré comme « indépendant ».
Naturellement, l’indépendance n’est pas seulement statutaire. Elle tient aussi à la personnalité du candidat. Le chef du parquet européen sera désigné à la suite d’un appel à candidature et sélectionné par un comité composé de 12 personnalités choisies parmi d’anciens membres de la Cour de Justice de l’Union Européenne et de la Cour des Comptes, d’anciens membres nationaux d’Eurojust, de membres de juridictions nationales suprêmes, de Procureurs de « haut niveau » et de deux juristes possédant des compétences notoires choisies sur une liste restreinte de candidats soumise au Parlement Européen et au Conseil.
Les adjoints au chef du parquet européen seront sélectionnés selon la même procédure. Chaque Etat membre doit désigner trois candidats. Les procureurs européens délégués seront désignés par les Etats membres et nommés par le collège sur proposition du chef du parquet européen.
Comment peut-on imaginer que, parallèlement, dans le même corps, il y ait des procureurs totalement indépendants (ceux délégués au parquet européen même s’ils seront très peu nombreux) et des procureurs avec un lien hiérarchique « puissant ». Ce sera une nouvelle contradiction dans le statut des parquetiers.
Michel BENICHOU