Un conflit opposait le Conseil National des Barreaux (mandature 2015/2017) à la Conférence des Bâtonniers et à de nombreux barreaux. Le débat portait sur l’ouverture de bureaux secondaires dans les locaux d’une entreprise. Le Conseil National des Barreaux, par décision des 1er et 2 juillet 2016, avait modifié l’article 15.2.2 du R.I.N. en considérant qu’un bureau secondaire pouvait être situé dans les locaux d’un entreprise mais devait répondre, en cette hypothèse, aux conditions générales du domicile professionnel, correspondre à un exercice effectif, aux règles de la profession notamment en ce qui concerne le secret professionnel. L’entreprise au sein de laquelle le cabinet est situé ne devait pas exercer une activité s’inscrivant dans le cadre d’une inter-professionnalité avec un avocat. La Conférence des Bâtonniers avait introduit un recours contre cette décision aux fins d’obtenir son annulation. 48 barreaux étaient intervenus volontairement au soutien de la thèse de l’annulation.
Le Conseil d'Etat a d’abord rappelé que le Conseil National des Barreaux était investi par la loi d’un pouvoir règlementaire qui s’exerce en vue d’unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession. « Ce pouvoir trouve cependant sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession ; le Conseil National des Barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté et l’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévues par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ».
Le Conseil d'Etat rappelle que le domicile professionnel doit être fixé dans le ressort du T.G.I. auprès duquel l’avocat est établi, que le bureau secondaire est une installation professionnelle permanente distincte du cabinet principal et que cela doit garantir le respect des exigences déontologiques de dignité, d’indépendance et de secret professionnel et la sécurité des notifications opérées par les juridictions (ce dernier point est rajouté mais est important compte-tenu du développement des RPVA, RPVJ et des télérecours).
Dès lors, le Conseil d'Etat tire les conséquences de la décision du Conseil National des Barreaux en indiquant que l’objectif est de permettre à un avocat de domicilier de façon permanente et effective une partie de son activité dans les locaux d’une entreprise qui peut être sa cliente. Or, cela ne correspond pas aux règles et usages des barreaux. Il s’agit donc d’une règle nouvelle. La décision n’a pas de fondement dans les règles législatives ou règlementaires et elle ne peut être regardée comme une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession.
Par ailleurs, et cela le plus important, « ces conditions d’exercice sont susceptibles de placer les avocats concernés dans une situation de dépendance matérielle et fonctionnelle vis-à-vis de l’entreprise qui les héberge et mettent ainsi en cause les règles essentielles régissant la profession d’avocat d’indépendance et de respect du secret professionnel ». Le Conseil National des Barreaux n’était donc pas compétent pour édicter cette règle.
La décision des 1er et 2 juillet 2016 du Conseil National des Barreaux est annulée en tant qu’elle modifie les dispositions de l’article 15.2.2 du R.I.N..
Cette décision fixe les limites du pouvoir normatif du C.N.B.. Un autre recours est pendant devant le Conseil d'Etat concernant la règlementation des médiateurs issus de la profession d’avocat, norme n’étant issue ni des usages et traditions, ni du cadre législatif ou règlementaire. Logiquement, elle devrait être annulée.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat, en stigmatisant clairement l’exercice de la profession dans l’entreprise, ferme la porte (judiciaire) à la reconnaissance de l’avocat en entreprise. Cette décision ressemble à celles prises par la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, de façon régulière, considère qu’un avocat, salarié d’une entreprise, ne peut en aucun cas être considéré comme un avocat indépendant. Elle déclare donc systématiquement irrecevable les requêtes ou conclusions déposées par des avocats en entreprise qui veulent intervenir devant les juridictions européennes.
Le Conseil National des Barreaux avait trouvé le biais du bureau secondaire pour imposer l’avocat en entreprise. C’est raté !
Michel BENICHOU