La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu, le 4 avril 2018, dans une affaire CORREIA DE MATOS contre Portugal (n° 56402/12), un arrêt passionnant sur l’intervention de l’avocat et le droit de se défendre seul. Les faits sont assez simples. Monsieur CORREIA DE MATOS est un avocat de formation et commissaire aux comptes de profession. Depuis 1993, il n’exerce plus en tant qu’avocat. Le Conseil de l’Ordre de l’Ordre des avocats du Portugal a estimé que l’exercice concomitant des professions d’avocat et de commissaire aux comptes était incompatible. Puis il cessa en 2013 son activité de commissaire aux comptes mais il demeura suspendu du Barreau jusqu’à la fin de l’année 2016 puisqu’il était sous le coup d’une sanction disciplinaire pour exercice non autorisé de la profession d’avocat.
Dans des conditions qui ne sont pas expliquées, en 2008, dans le cadre d’une procédure civile, il est intervenu en qualité d’avocat. Il a vivement critiqué la décision prise par le juge en parlant d’indignité, de mensonge, d’omission de la vérité, … Le juge, blessé, a saisi le Parquet d’une plainte pour outrage. L’avocat – commissaire aux comptes a donc été poursuivi. L’issue n’a aucune importance. Le problème tient au fait que Monsieur CORREIA DE MATOS a demandé à se défendre seul. Il n’a jamais choisi d’avocat ou sollicité la désignation d’un avocat d’office. Mais au Portugal, chaque fois qu’un individu est poursuivi pénalement et que la procédure peut aboutir à une peine privative de liberté, l’assistance d’un avocat est obligatoire (article 64 du Code de procédure pénale portugais).
La thèse de Monsieur CORREIA DE MATOS était que dans le système juridique portugais, le droit à l’assistance d’un défenseur a été converti en une obligation absolue d’être assisté par un avocat, obligation qui bafouerait, le droit de se défendre soi-même et donc l’article 6 de la Convention. Il aurait pu rappeler également l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui porte sur le droit à un recours effectif et qui prévoit que « toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, …, toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter ».
Le paragraphe 2 de la Charte prévoit que le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. A aucun moment, il n’est question d’obligation d’être représenté. La Directive 2013/48/U.E. du Parlement européen et du Conseil en date du 22 octobre 2013 traite du droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. Ce droit d’accès est libre et les accusés peuvent y renoncer comme le prévoit l’article 9 de la Directive. Le droit de l’Union Européenne était donc plutôt favorable au requérant. De même, le Pacte International relative aux droits civils et politiques prévoit en son article 14 § 3 le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur du choix de l’accusé. Il n’y a pas d’obligation. Les textes de l’Union Européenne et les textes internationaux étaient plutôt favorables au requérant.
Le premier enseignement de cet arrêt est de faire un examen de la loi portugaise et d’autres lois qui amènent l’avocat à intervenir obligatoirement dans les affaires pénales dès qu’il s’agit de privation de liberté.
Nous en sommes loin en France. Mais, lorsque l’on examine en droit comparé les législations des 35 Etats parties à la Convention, on s’aperçoit que 31 Etats ont posé comme règle générale le droit pour un accusé d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale. 4 Etats interdisent à l’accusé d’assurer lui-même sa défense (l’Espagne, l’Italie, la Norvège et Saint-Marin). Mais, dans 29 Etats sur les 31, il existe des exceptions tenant compte aux circonstances particulières de l’affaire qui amènent la législation à faire obligation à l’accusé d’avoir un avocat. On tient compte du degré de juridiction, de la complexité de l’affaire, de la gravité de l’infraction et de la capacité de l’intéressé à assurer lui-même sa défense (âge, santé mentale, …). Dans les 4 pays où la représentation est obligatoire, il y a également des exceptions à cette législation puisque l’Espagne et l’Italie autorisent les accusés à assurer leur propre défense dans les procédures pénales relatives à des infractions mineures. De surcroit, l’Espagne permet à un avocat d’assurer lui-même sa défense. Il en est de même pour le Luxembourg.
Cet arrêt permet donc de voir que sur le plan de la représentation obligatoire, le barreau français a encore des efforts à faire. En effet, il est inconcevable que la patrie de la Déclaration des Droits de l’Homme laisse des prévenus assurer eux-mêmes leur défense lors d’instance dans lesquelles ils encourent des peines importantes de privation de liberté. Le Barreau Français devrait revendiquer la présence obligatoire de l’avocat (sauf si le prévenu n’en veut absolument pas) pour toutes les infractions où le prévenu encoure une peine de privation de liberté. Ce serait une garantie pour l’Etat de droit.
Michel BENICHOU