De nombreux avocats, appartenant au Conseil National des Barreaux ou d’autres organisations ou syndicats, se sont réjouis de la création des sociétés pluri-professionnelles d’exercice. C’est la loi du 6 aout 2015 (2015-990) dite Loi MACRON, qui, dans son article 65, a habilité le Gouvernement à faciliter la création de ce type de sociétés pouvant regrouper, pour un exercice en commun, les professions d’avocat, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, de commissaire-priseur judiciaire, de notaire, d’huissier de justice, de mandataire judiciaire, d’administrateur judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d’expert-comptable. Les experts comptables sont ainsi assimilés à des professions juridiques ! L’ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, qui a été complétée par plusieurs décrets en date du 5 mai 2017, est donc venue permettre la création de ces SPE.
Mais les problèmes ne manquent pas.
La plupart des professions citées dans la loi et l’ordonnance sont soumises au secret professionnel.
Toutefois, ce secret professionnel sera malmené dans ce type de société. D’ores et déjà, l’article 31-10 de l’ordonnance du 31 mars 2016 prévoit que « le professionnel exerçant au sein de la société d’une des professions qui en constitue l’objet social, est tenu aux obligations de loyauté, de confidentialité ou de secret professionnel, conformément aux dispositions encadrant l’exercice de sa profession ». Cela aurait pu nous rassurer mais, immédiatement, l’ordonnance ajoute « les obligations de confidentialité ou de secret professionnel ne font pas obstacle à ce qu'il communique à d'autres professionnels toute information nécessaire à l'accomplissement des actes professionnels et à l'organisation du travail au sein de la société dans l'intérêt du client ». Il s’agit donc du secret partagé, c’est-à-dire la fin du secret ou, à tout le moins, d’un secret relatif désormais.
Seules les structures mono-professionnelles conserveront donc un secret « absolu ».
De surcroit, la société pluri-professionnelle consiste à mettre des moyens en commun au profit d’une clientèle.
Il va donc y avoir, probablement, des salariés mis en commun (standard, secrétaires, comptabilité, …). Ils vont recevoir des confidences de tel ou tel client d’une des professions exerçant en SPE. Mais ils travailleront pour une autre profession.
Pour les administrateurs judiciaires, la situation est encore plus complexe. En effet, l’ordonnance prévoit expressément qu’il pourra communiquer à tout professionnel toutes informations nécessaires à l’accomplissement des actes professionnels et à l’organisation du travail au sein de la société dans les limites de ce que lui permet le mandat de justice pour lequel il a été désigné.
Le partage est assez mince. Comment prouver que l’on a partagé le strict nécessaire dans le cadre légal ? L’administrateur judiciaire qui aura connaissance du prochain dépôt de bilan (par le dépôt au greffe ou par l’amorce d’une procédure de conciliation) d’un client du notaire ou de l’avocat, va-t-il leur communiquer les informations pour que ceux-ci s’empressent de prendre des mesures protectrices de leurs intérêts ou de l’intérêt de leurs autres clients ?
Le problème se pose de la même façon pour la lutte contre le blanchiment des capitaux.
L’avocat doit passer par son Bâtonnier qui exerce un rôle de filtre en cas de délation. Mais le mandataire de justice, lui, dénonce directement auprès de TRACFIN. Idem pour l’expert-comptable.
Pour les avocats, toute la défense est exclue de la délation ainsi que la consultation. Mais, pour les autres professions, il n’y a aucune exclusion et on dénonce immédiatement.
Qui va dénoncer ? S’agira-t-il d’une dénonciation opérée par la société, qui est une structure d’exercice ou chaque associé, en fonction de ses règles professionnelles ? Cela, naturellement, va changer le destinataire de la dénonciation. Et si on estime que chaque associé doit faire, selon ses propres règles, une déclaration. Alors, doit-il informer les autres associés de cette déclaration qui pourrait compromettre les intérêts de la société ?
Les avocats n’ont pas d’obligation de déclarer leur soupçon concernant des faits délictueux. Tel n’est pas le cas des autres professions. En matière de perquisition, l’avocat peut faire appel à son Bâtonnier ou son délégué. Mais tel n’est pas le cas de toutes les autres professions qui ne bénéficient pas d’une présence extérieure pour les aider.
En bref, cette ordonnance vise simplement à permettre à certains de faire du business et d’accroitre leurs revenus ou leur rentabilité. Elle n’a pas pour objectif de préserver notre déontologie, nos secrets et nos valeurs.
Michel BENICHOU