L’aile marchande de la profession semble triompher. L’unique objectif semble être de faire de l’argent le plus vite possible et par tous moyens. Ce serait, selon eux, le but de la profession.
Il est vrai que cette faction a été favorisée par le quinquennat finissant et le Ministère de l’Economie. Les différents textes publiés leur donnent des ailes. Ainsi, les décrets du 29 juin 2016 ont permis à des avocats d’exercer des activités commerciales connexes et accessoires. Vous vendrez donc du conseil et du papier pour l’imprimer, des conseils et des ordinateurs pour les recevoir. Le rêve de ces professionnels du droit est de devenir des businessmen ou women. Ils seront traités comme tels et non comme des avocats.
Naturellement, cela suppose, par exemple, de pouvoir exercer concomitamment des activités d’avocat dans plusieurs sociétés. Le décret du 29 juin 2016 a répondu à leur injonction. Les avocats exerçant dans des sociétés autres que les sociétés civiles professionnelles (pour l’instant) ne sont plus tenus d’exercer exclusivement au sein d’une société mais peuvent exercer au sein de plusieurs structures. J’imagine parfaitement les réunions d’associés. L’affectio societatis, la loyauté risquent d’en prendre un coup. Mais, cela n’a pas d’importance. L’argent domine. Il faut être dans plusieurs structures pour gagner plus et plus vite.
Pour s’enrichir plus vite, il faut ouvrir largement le capital social des sociétés. Une nouvelle fois, la loi Macron a permis aux sociétés d’avocats (à l’exception des sociétés civiles professionnelles) de s’ouvrir aux membres des professions juridiques et judiciaires. Ce n’est, pour les tenants de l’aile marchande de la profession, qu’un début.
Ils écartent d’un revers de main les questions d’indépendance, de prévention des conflits d’intérêt, du secret professionnel. Cela n’a pas d’importance. Monsieur HAERI, auteur d’un rapport sur l’avenir de l’avocat, estime que l’indépendance n’est pas menacée par une prise de participation et que la présence dans le capital du cabinet d’une personne physique ou morale non-avocat apporte à la gestion et au fonctionnement du cabinet « un regard neuf et novateur ». Il s’agit du regard du profit.
On donne comme modèles les alternatives business structures d’Angleterre et du Pays de Galles qui sont, progressivement, dans les mains des compagnies d’assurances, des banques et des grandes sociétés. En avril 2016, 4 ans après la publication de la loi anglaise, seules 513 entités étaient constituées. Il ne s’agit donc pas d’un franc succès. Ce sont de très grosses structures privées. Des compagnies d’assurance et des banques ont créé leur ABS pour mettre à la disposition de leurs clients des prestations juridiques. Cela ne semble pas concerner les structures moyennes alors que l’on avait annoncé leur massive transformation en ABS.
De surcroit, on s’aperçoit, à l’usage, que les ABS n’ont pas été constituées pour obtenir l’apport de capitaux extérieurs mais pour permettre une pluridisciplinarité (rapport de la Competition Market Authority, « legals services market study » 8 juillet 2016).
On ne cite pas l’exemple espagnol. L’Espagne a autorisé des capitaux minoritaires à hauteur de 25 % dans les sociétés d’avocats. J’ai interrogé, à plusieurs reprises, les représentants de la profession d’avocat en Espagne. Ils ne connaissent aucune société d’avocats qui ait ouvert son capital à des investisseurs extérieurs. Cela ne marche pas.
Les grandes sociétés d’avocats avaient lesquelles j’ai discuté n’ont pas l’intention, pour l’instant, d’ouvrir leur capital à des investisseurs extérieurs. Elles n’en ont pas manifestement besoin. Il y aura peut-être une volonté de filialisation pour occuper tel ou tel marché. Toutefois, ce n’est pas leur objectif immédiat.
J’ai donc l’impression qu’on joue avec l’avenir de la profession d’avocat. La présence d’investisseurs extérieurs va complètement modifier la profession et donc l’Etat de Droit et de la Justice. Le seul ressort va être le profit que demandera l’investisseur. On sait que les investisseurs, aujourd’hui, demandent des profits à deux chiffres. Ils vont donc prendre le contrôle des sociétés d’avocats pour exiger une rentabilité et vont poser comme condition le rejet d’un certain nombre de clients qui ne sont pas suffisamment rentables.
La question du secret professionnel se posera. Que pouvez-vous dissimuler à un actionnaire à 49 % ?
Enfin, s’agira-t-il d’un client qui investit dans la société de son avocat ? Cela veut dire en fait que l’avocat sera un « subordonné » de son client puisqu’il dépendra de lui. Quid du conflit d’intérêt et de l’indépendance ?
En bref, cette ouverture des sociétés d’avocats en vue de financement, constitue une mauvaise idée. On peut simplement espérer que le C.N.B., étant dans la troisième année de son mandat, ne pourra aller au terme de cette mauvaise action et épargnera à la profession ce « Waterloo éthique ».
Michel BENICHOU