Par un arrêt du 10 janvier 2017, le Tribunal de l’Union Européenne a condamné l’Union Européenne a réparé le préjudice causé par la violation du délai raisonnable pour procéder à un jugement par cette juridiction (Tribunal Union Européenne 10.01.2017, GASCOGNE SACK DEUTSCHLAND GmbH et Gascogne c/ Union Européenne soutenue par la Commission Européenne, Affaire T577/14).
En l’espèce, les deux sociétés Gascogne avaient été condamnées par la Commission Européenne pour entente en 2005. Elles avaient formé un recours le 13 février 2006 contre cette décision devant la juridiction du Tribunal de l’Union Européenne.
Il a fallu attendre 6 ans pour que les recours soient rejetés. Les sociétés Gascogne forment alors un pourvoi devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il est rejeté après un délai de 2 ans.
A l’issue de cette longue procédure, les deux sociétés attaquent l’Union Européenne pour violation du délai raisonnable de jugement. Le Tribunal de l’Union Européenne se voyait donc demander de condamner la politique du Tribunal de l’Union Européenne. La procédure a été mouvementée puisque la Cour de Justice de l’Union Européenne avait soulevé une exception d’irrecevabilité … qui a été rejetée par le Tribunal de l’Union Européenne ! La Cour de Justice de l’Union Européenne a alors retiré le pourvoi qu’elle avait formé. La Commission européenne, de son côté, est intervenue hors délai. Puis le Tribunal de l’Union Européenne a décidé de retirer du dossier les pièces issues des procédures relatives à l’entente. Sur demande de la Cour de Justice de l’Union Européenne, invoquant la violation des règles de procédure et en qualité de mesure d’organisation de ladite procédure, le Tribunal a, de nouveau, versé lesdites pièces au dossier.
Puis, la Cour de Justice de l’Union Européenne a soulevé deux fins de non-recevoir, tenant du manque de clarté et de précision de la requête et de la prescription de la demande d’indemnisation. Le Tribunal les a rejetées. Il a notamment considéré qu’en ce qui concerne la prescription, celle-ci ne commençait à courir qu’à compter du jugement du Tribunal du 16 novembre 2011 mettant fin à la procédure de première instance. C’était cette procédure qui était jugée particulièrement longue par les deux sociétés (6 années).
Finalement, le Tribunal a examiné si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle étaient réunies (faute, préjudice et lien de causalité). Il a estimé qu’une durée de 26 mois pour une telle procédure compte-tenu de sa complexité était un délai raisonnable mais que la procédure avait donc excédé de 20 mois la durée acceptable.
Il restait la question du préjudice. Les sociétés soutenaient avoir subi des pertes en raison du paiement, au-delà du délai raisonnable, des frais liés à la garantie bancaire qu’elles avaient constituée afin de ne pas acquitter immédiatement le montant de l’amende importante infligée par la Commission et les intérêts légaux appliqués sur le montant de l’amende. Le Tribunal, pour des éléments de fait, n’a pas reconnu l’existence d’un préjudice matériel. En revanche, il a estimé qu’elles avaient subi un préjudice réel et certain en raison de paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période de dépassement du délai raisonnable. Finalement, le préjudice s’est élevé à 47.064,33 euros représentant le paiement de ces frais de garantie bancaire après le délai estimé raisonnable par le Tribunal.
L’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme condamne donc les délais déraisonnables des juridictions. Il était bon que cela s’applique également aux juridictions de l’Union Européenne. Il ne reste plus, à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qu’appliquer, à sa propre procédure, la violation du délai raisonnable prévu par l’article 6 de la Convention. En effet, il est inacceptable que les procédures devant la Cour Européenne, quelle que soient la qualité des décisions, la complexité des causes, le surencombrement de cette juridiction compte-tenu des nombreuses violations des Droits de l’Homme dans les pays européens, statue en des délais aussi longs. Les justiciables perdent patience et ne croient plus en l’intérêt de la juridiction alors même qu’il est essentiel de préserver la Cour Européenne. Certains candidats à l’élection présidentielle veulent que la France se retire la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme ou suspende sa participation à la Cour Européenne en considérant notamment les arrêts que celle-ci a rendus en matière de gestation pour autrui ou de filiation. Cette position est inacceptable. La Cour Européenne nous a beaucoup amené sur le plan des garanties procédurales et des droits des citoyens européens. Un retrait, une suspension de participation de la France serait un coup mortel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et à la Cour Européenne en considérant la place que ce pays a acquis lors de la création de ce processus.
Espérons qu’il ne s’agisse que de discours de campagne destinés à flatter un électorat populiste et anti-européen.
Michel BENICHOU