Deux arrêts fondamentaux ont donc été rendus par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 14 mars 2017 dans deux affaires concernant le port d’un foulard islamique. Ces deux dossiers sont complémentaires et éclairent la position de la grande chambre de la Cour de Justice. En premier lieu, les fondements de la saisine de la Cour sont semblables. Il s’agit de la violation de la Directive 2000/78/C.E. du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et particulièrement de l’article 2 paragraphe 2.
Cette directive rappelle le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination. Cette discrimination peut concerner l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou la religion et les convictions.
Dans l’affaire belge, la salariée avait été embauchée en 2003. Il prévalait alors dans l’entreprise employeur une règle non-écrite en vertu de laquelle les travailleurs ne pouvaient pas porter, sur le lieu de travail, des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses. En 2006, la salariée a fait savoir à ses supérieurs qu’elle avait désormais l’intention de porter le foulard islamique pendant les heures de travail. On lui a indiqué que cela ne serait pas toléré.
Le comité d’entreprise a alors approuvé une modification du règlement intérieur, entrée en vigueur en juin 2006, au terme de laquelle il était interdit « aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tous rites qui en découlent ». La salariée a maintenu sa volonté de porter le foulard islamique. Elle a été licenciée. Elle a porté le litige devant les juridictions du travail, puis la Cour d'Appel et enfin la Cour de Cassation qui a interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne sur l’interprétation de l’article 2 paragraphe 2 de la Directive 2000/78.
La réponse de la Cour est claire. L’interdiction de porter un foulard islamique qui découle d’une règle interne d’entreprise privée, interdisant le port visible de tous signes politiques, philosophiques ou religieux sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. En revanche, une telle règle interne serait susceptible de constituer une discrimination indirecte s’il est établi que l’obligation, en apparence neutre qu’elle prévoit, entraine – en fait – un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elles ne soient objectivement justifiées par un objectif légitime tel que la poursuite par l’employeur dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophie ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Il faut donc un règlement. Il faut que ce règlement ne dissimule pas la volonté de nuire à une personne en particulier et il faut, si ce règlement est susceptible de constituer une discrimination indirecte, que l’employeur puisse justifier de sa volonté de poursuivre une politique de neutralité à l’égard de ses clients et que le moyen utilisé soit approprié et nécessaire par rapport à cet objectif.
Ces principes posés permettent d’examiner la situation de l’autre affaire, celle qui concernait la France. En cette espèce, la salariée avait été embauchée en 2007L’entreprise l’aurait informée que le port du foulard pourrait poser problème quand elle serait en contact avec les clients de la société. Au départ, la salariée portait un bandana puis elle a porté un foulard islamique sur le lieu de travail et ce alors même qu’elle était simplement en stage. A la fin du stage, l’entreprise l’a embauchée (2008) sur la base d’un contrat de travail à durée indéterminée. En 2009, elle est convoquée pour un licenciement en considérant le port du voile et la plainte d’un client. La salariée a entrepris des recours devant le Conseil des Prud'hommes, la Cour d'Appel (qui avait condamné l’entreprise au paiement de l’indemnité de préavis), puis devant la chambre sociale de la Cour de Cassation qui a posé la question préjudicielle.
La Cour, au vu des faits, a constaté qu’il n’existait pas de règles internes définies par l’entreprise. De surcroit, conformément au considérant 23 de la Directive 2000/78 « ce n’est que dans des conditions très limitées qu’une caractéristique liée, notamment, à la religion, peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Cela tient à la nature d’une activité professionnelle ou aux conditions de son exercice.
Il n’y a donc aucune question ou considération subjective. Notamment, la Cour a écarté la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers d’un client.
Dans cette affaire, la Cour a considéré qu’il fallait interpréter l’article 4 paragraphe 1er de la Directive 2000/78/C.E. du 27 novembre 2000 au profit de la salariée. La volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne sauraient être considérés comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition.
Pour les avocats, cela rappelle la nécessité de décrire exactement les faits lors d’une question préjudicielle devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. On voit que dans ces deux affaires qui se présentaient, facialement, de façon semblable, les deux décisions sont différentes en considérant les faits.
Michel BENICHOU