Les juristes d’entreprise, faute d’être accueillis à bras ouverts dans la profession d’avocat, sollicitent le privilège légal. Le débat sur leur intégration a duré de nombreuses années, a occupé les différentes instances de la profession et s’est terminé, après plusieurs mandatures, par un vote défavorable du Conseil National des Barreaux. Dès lors, les juristes d’entreprise, sans renoncer à courtiser le gouvernement pour la création de la grande profession du droit, soutenu par une partie de l’aile marchande de la profession, ont plaidé pour obtenir un « legal privilege » à l’exemple des juristes d’entreprise de nombreux pays anglo-saxons.
Le débat, à l’occasion d’opérations de saisie et de perquisition dans une entreprise, est venu devant les juridictions. En effet, la Cour d'Appel de PARIS a été saisi par une société d’électroménager qui était poursuivie, avec d’autres sociétés, par l’Autorité de la concurrence. Celle-ci, autorisée par le juge des libertés et de la détention, avait opéré des visites et des saisies et, parmi les saisies, se trouvaient différents courriers de juristes d’entreprise. Dès lors, l’entreprise invoquait le secret professionnel et demandait, du fait de cette saisie, l’annulation de l’intégralité des opérations. Le Barreau de PARIS est intervenu pour défendre le secret professionnel et l’AFJE pour soutenir le « legal privilege » pour les juristes d’entreprise. De son côté, l’Autorité de la concurrence rappelait qu’en l’état des textes, les juristes d’entreprise ne jouissaient d’aucune protection particulière tant en droit national qu’en droit du l’Union Européenne. Dès lors, la saisie de documents présents dans les bureaux de juristes d’entreprise ne bénéficiait d’aucune procédure distincte de celle mise en œuvre dans les autres bureaux.
La Cour d'Appel de PARIS (ordonnance du 8 novembre 2017, n° 14/13384) abordait la question du secret professionnel et du « legal privilege ». Elle considérait que devaient être annulées les saisies de courriels de juristes adressés à leurs responsables juridiques ou au président de la société, même s’ils n’émanaient pas ou n’étaient pas adressés à un avocat, mais parce qu’ils reprenaient des stratégies de défense mises en place par le cabinet d’avocats désigné par la société. Leur saisie portait donc atteinte au privilège légal. En effet, la Cour avait pris le soin d’examiner, in concreto, tous les documents saisis. Elle avait repéré quelques documents dans lesquels on reprenait des éléments de langage, de défense ou de stratégie émis par le cabinet d’avocats.
La Cour considère donc qu’il y a une atteinte à la stratégie de défense de la société concernée.
Cette décision est importante. Elle entérine l’idée que la confidentialité ne concerne pas uniquement les courriers émanant de l’avocat ou adressés à l’avocat, mais également les courriers pouvant émanés de juristes d’entreprise mais reprenant les éléments de défense tels qu’imaginés par un cabinet d’avocats. Tous les courriers ne sont donc pas protégés. La protection n’est pas forcément liée à la qualité de juriste d’entreprise. En revanche, le document, quel que soit l’émetteur, peut être protégé lorsqu’il contient des éléments de défense transmis par le cabinet d’avocats. C’est une étape.
Pour ma part, j’ai toujours été favorable à l’attribution du « legal privilege » aux juristes d’entreprise. D’abord, parce que cela permettra aux juristes français d’être en situation de concurrence égale par rapport à leurs homologues anglo-saxons. En cette période de concurrence exacerbée, alors que le droit est un des éléments de la différenciation, il faut donner des armes à nos juristes et donc à nos entreprises. Et, puis, n’étant pas favorable à l’intégration de tous les juristes d’entreprise dans la profession d’avocat, je pense que cette attribution du « legal privilege » permettra de différer un débat qui pollue depuis de très longues années les relations entre avocats et juristes d’entreprise.
Toutefois, cette ordonnance pose une autre difficulté pour les avocats. En effet, la Cour d'Appel de PARIS considère qu’un échange entre deux correspondants (personnes physiques ou morales) avec en copie jointe un avocat ne peut bénéficier de la protection légale relative à la confidentialité des échanges avocat/client. A défaut, ajoute la Cour d'Appel, cela serait dénaturer cette protection légale. Cela constitue une réduction du secret professionnel et de la confidentialité. En effet, il est fréquent que, pour la préparation d’un dossier, alors même que les actes de justice ne sont pas engagés, il puisse y avoir une discussion entre salariés d’une même entreprise ou entreprise différente, pour préparer le litige, et l’avocat est mis en copie. Il y a là des éléments de défense, de stratégie qui sont communiqués à l’avocat.
Prétendre que ces courriels ou ces courriers ne sont pas protégés par la confidentialité serait réduire encore le champ de cette protection légale.
L’ordonnance du 8 mars 2017 n’est donc pas anodine.
Michel BENICHOU