A priori, la France et les Etats-Unis reconnaissent tous les deux le principe de l’égalité de traitement. La France dans son article L.3221-1 du Code du travail fait application de manière stricte à la discrimination homme-femme mais va beaucoup plus loin en imposant un principe général « Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ». A l’inverse, les Etats-Unis appréhendent au travers de l’« Equal Pay Act » de 1963 repris à l’article 29 U.S.C.A § 206 5 (d) (1), l’ensemble des salariés qu’ils soient hommes ou femmes mais se contente d’une simple interdiction.
Au-delà de cet élément, est mis en place un organisme fédéral « Equal Employment Opportunities Commission » nettement moins active que la HALDE, laissant ainsi le soin aux salariéEs de défendre par elles-mêmes leur litige. D’où l’émergence de « class-action » qui permettent une régulation sociale par le bas. Les « class-action » envahissent un nouveau champ d’application qu’est le droit du travail, après celui plus connu par la France du droit de la consommation.
Ensuite, les principales distinctions à effectuer entre les deux législations concernant ce point particulier qu’est la discrimination touchent deux éléments. D’une part, les standards de référence à prendre en compte dans la définition d’ « emploi équivalent » est fondamentalement différente. En France, on admet le travail identique ou à valeur égal, alors qu’aux Etats-Unis la similarité est plus stricte. D’autre part, la législation américaine admet légalement des exceptions au principe notamment dans un alinéa « fourre-tout » « (iv) a differential based on any other factor other than sex » c’est-à-dire un système fondé sur tout facteur autre que l’identité sexuelle. D’autant que la jurisprudence américaine n’a pas une position fixe sur sa définition, laissant ainsi une grande marge de manœuvre aux avocats américains. Alors qu’en France, l'exception jurisprudentielle posée par la Cour de Cassation est clairement encadrée : on parle de raisons objectives et matériellement vérifiables à la différence de rémunération (soc. 21/06/2005). A titre d’exemple : la date d’embauche (soc. 1/12/2005), le statut juridique (soc. 28/04/2007), l’existence d’accords collectifs propres à certains établissements (soc. 18/01/2006). De plus, il semble avoir un élément des plus importants à mentionner, concernant la charge de la preuve. En France, la charge de la preuve appartient à la partie défenderesse, c’est-à-dire l’employeur (Art.L.3221-8 Code du travail). En conséquence de quoi, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence (Soc.28/09/2004). A l’inverse, aux Etats-Unis, c’est aux salariéEs d’apporter la preuve de la discrimination.
Après avoir rappelé ces quelques éléments de technique juridique, il convient de l’appliquer à l’affaire opposant les salariéEs à leur employeur, la chaine de distribution américaine Wal-Mart. Après avoir été initiée par Mme Dukes (arrêt Dukes v. Wal-Mart Stores, Inc.22 F.D.R 137), 6 plaintes ont été déposées pour discrimination sexuelle. Celle-ci prétendaient être payées moins que les hommes à des postes comparables, en dépit d’une meilleure notation et d’une plus grande ancienneté. Après, une tentative de forcing de l’administration Bush de modifier les procédures de « class-action », la « class certification » a été admise en 2004 puis en 2007. L’instance fédérale a ainsi autorisée la représentation en leur nom de l’ensemble des salariés de Wal-Mart et ce, depuis 1998. Et le coup dur a été porté par le Cour d’appel de San Francisco qui a confirmé la solution.
Suite à cette solution, la chaine de distribution a annoncé sa volonté de se pourvoir devant la Cour Suprême afin d’annuler cette décision permettant en conséquence à 1.5 million d’employéEs d’agir. Les arguments qu’ont soulevés les avocats de la chaine sont les suivants :
- La plainte en nom collectif ne saurait pouvoir être recevable en ce que les postes occupés par les salariéEs sont trop variés et que donc, une poursuite individuelle serait plus adaptée à la situation. Mais, les salariéEs ne sont pas dupes et connaissent la finalité de cet argument qui consiste pour le moins à pouvoir transiger par la suite des indemnités. Comme cela a été le cas dans l’affaire Novartis, où suite à l’arrêt rendu, l’entreprise a transigé le 14 juillet 2010, à hauteur de 152.5 millions de dollars et 22.5 millions de dollar pour créer un programme de prévention.
Reste à savoir, si l’argument saurait prospérer devant la Cour Suprême qui devra rendre sa décision en juin 2011. Un doute se poser sur l’admission par la Haute juridiction d’une « class-action » aussi importante. En effet, par le passé, elle s’est déjà montrée défavorable à l’admission d’une action d’une telle ampleur. Mais cela reste à voir.
- Enfin, l’argument en faveur de la diminution du nombre de participante à la « class » tient du fait que la procédure américaine impose un raisonnement avec une double détente pour apporter la preuve de la discrimination.
- D’une part, les salariéEs devront prouver qu’elles ont subies une violation « prima facie » c’est-à-dire qu’elles rapportent la preuve qu’entre deux emplois substantiellement équivalents, le traitement était différent. Or, la chaine pourra arguer du fait que les employés masculins avaient plus de salariés sous leur autorité ou bien qu’ils étaient responsables d’un budget plus important. Sachant que les employéEs peuvent recourir aux experts et à la description faite en interne du poste.
- D’autre part, les avocats de Wal-Mart auront la possibilité de recourir à la catégorie « fourre-tout » de l’exception admise par la législation américaine.
Le seul bémol à cette argumentation tient du fait qu’à l’inverse du cas Novartis, où l’entreprise continue de plaider qu’il ne s’agissait pas d’une politique interne mais d’agissements de certains cadres, Wal-Mart, elle, utilisait cette pratique en interne. En effet, six ans avant le dépôt de la première plainte, une enquête, qui avait été réalisée en 1995, par le cabinet Akin Gump Strauss Hauer and Feld, et qui a souligné une importante disparité entre homme et femme au sein du groupe. Au titre de quelques exemples : en moyenne, un homme percevait une rémunération supérieure de 19% à celle d’une femme, un homme avait 5.5 fois plus de chance d’être promu, un homme payé à l’heure recevait une rémunération supérieure de 5.8%, 50% des femmes étaient cantonnés aux caisses, alors que les hommes qui réalisaient des opérations de déchargement gagnaient jusqu’à 20% de plus qu’une femme. La croyance démodée mise en avant lors de l’adoption de l’EPA de 1963 semblait demeurée au sein de l’entreprise.
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Article 29 U.S.C.A § 206 5 « Un employeur ayant des employés assujettis aux provisions de cet article ne peut pas prendre des mesures discriminatoires à l’encontre des employés sur le fondement de leur sexe, dans aucun des établissements dans lesquels ces employés sont employés, en payant aux employés dans de tels établissements un salaire moindre que celui qu’il paie aux employés de l’autre sexe dans un tel établissement pour un travail équivalent dans un emploi dont l’accomplissement requiert les mêmes compétences, le même effort, les mêmes responsabilités, et qui sont effectués dans des conditions similaires ; sauf si ce paiement est fondé sur (i) un système d’ancienneté, (ii) un système fondé sur le mérite, (iii) un système qui mesure les salaires en fonction de la quantité ou de la qualité de la production, ou (iv) un système fondé sur tout facteur autre que l’identité sexuelle. Un employeur qui paie les salaires de ses employés en violation du présent article ne doit, pour se conformer aux dispositions du présent article, réduire le salaire d’aucun employé. »
(No employer having employees subject to any provisions of this section shall discriminate, within any establishment in which such employees are employed, between employees on the basis of sex by paying wages to employees in such establishment at a rate less than the rate at which he pays wages to employees of the opposite sex in such establishment for equal work on jobs the performance of which requires equal skill, effort, and responsibility, and which are performed under similar working conditions, except where such payment is made pursuant to (i) a seniority system; (ii) a merit system; (iii) a system which measures earnings by quantity or quality of production; or (iv) a differential based on any other factor other than sex: Provided, That an employer who is paying a wage rate differential in violation of this subsection shall not, in order to comply with the provisions of this subsection, reduce the wage rate of any employee.)
Sur une idée de Monsieur Erwan Jaglin, du cabinet Bredin Prat