« Baby Loup » ou la primauté du principe de laïcité dans l’entreprise

Publié le 25/03/2013 Vu 5 309 fois 0
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Pour commencer, rappelons que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. C’est pourquoi, chaque entreprise qui souhaite apporter des restrictions à cette liberté religieuse inhérente à la personne, doit être en mesure de justifier que cela provient de la nature de la tâche à accomplir.

Pour commencer, rappelons que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’es

« Baby Loup » ou la primauté du principe de laïcité dans l’entreprise

Comprenons nous bien, l’employeur ne pourra porter atteinte à cette liberté que s’il s’agit de répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Encore faut-il que cet impératif ait engendré une restriction de cette liberté proportionnée au but recherché.

A titre d’illustrations, on peut faire référence à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, l’application pure et simple des principes généraux de prévention par l’employeur afin de se prémunir d’un manquement à son obligation de sécurité de résultat.


Exemple : si le port du voile devient un danger pour la santé ou la sécurité du salarié ou de ses collègues de travail.


Dans cette affaire, une femme avait été engagée en qualité d’éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe de la crèche et halte-garderie gérée par l’association Baby Loup. Suite à son non-respect des dispositions du règlement intérieur de l’association concernant le port d’un voile islamique, elle  avait saisi la juridiction prud’homale pour demander la  nullité de son licenciement.  Elle revendiquait le fait d’avoir été victime d’une discrimination au regard de ses convictions religieuses.


Les juges de première et deuxième instance l’avaient débouté de sa demande aux motifs que les statuts de l’association précisent que celle-ci a pour but de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’oeuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier.
En l’occurrence, l’association tenait à maintenir la neutralité de son personnel qui ne devait manifester leurs opinions politiques ou confessionnelles.


Les juges du fond ont estimé que les enfants de cette crèche ne devaient pas être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse (…) et que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».


Quid juris : la clause du règlement intérieur était-elle licite et légitime au regard de ce « conflit de libertés » ?


La Cour de cassation a fait prévaloir le principe de laïcité dans la mesure où, la clause du règlement intérieur de la crèche revenait à appliquer une restriction générale et imprécise ne répondant pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail.


En l’espèce, le principe de la liberté de conscience et de religion ne pouvait être invoqué pour priver la salariée de la protection que lui assure les dispositions du code du travail.


Cette jurisprudence, qui n’a pas fini de faire des échos, provient inexorablement d’un usage courant et erroné de l'adjectif laïc. On l’applique à un individu avec le sens de non-croyant, d’athée ou de neutre idéologiquement. Or, le mot désigne l'homme commun par opposition à celui qui est entré dans les ordres.


Cet usage erroné engendre donc une confusion sur le principe de laïcité (principe de neutralité pour un État ou une institution, et non pour un particulier, à moins qu'il ne s’exprime en tant que représentant de l’État) et donne parfois lieu à une interprétation abusive de ce principe.


Il est notamment question d’abus lorsque ce principe est entendu comme l’obligation, pour un particulier ou un groupe de particuliers, d’être neutre (sur le plan idéologique ou religieux) quand il s’exprime dans la sphère publique, ce qui est contraire à la notion de liberté d’expression.


Dès lors, les hauts magistrats ont jugé le licenciement nul puisqu’il reposait sur un motif discriminatoire soit le refus de la salariée de quitter son voile qui affichait de façon ostentatoire ses convictions religieuses.


Cet arrêt de principe souligne aussi la nécessité d’assurer une meilleure conciliation vie professionnelle et vie privée lorsque cela est possible. L’entreprise ne constitue pas un rempart où le salarié doit laisser sa personnalité, son for intérieur. La communauté de travail se nourrie des différences de chacun qui lui en donnent toute sa richesse.


Cependant, les entreprises devront rester vigilantes afin de préserver les libertés de chacun de leurs collaborateurs tout en gardant à l’esprit l’adage selon lequel « mes libertés s’arrêtent là où commence celles des autres… ». A méditer…


Nadia RAKIB
Dirigeante CLINDOEIL SOCIAL
www.clindoeil-social.com


Sources


Articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail
 Article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Arrêt n° 536 du 19 mars 2013 (11-28.845) - Cour de cassation - Chambre sociale

 

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