Pour la différencier des autres catégories de fautes, on peut garder à l’esprit que la faute du salarié est considérée comme lourde lorsqu'elle est commise dans l'intention de nuire à l'employeur. C'est celui-ci qui devra en rapporter la preuve et à défaut, la faute lourde ne pourra pas être reconnue à l’encontre du collaborateur.
La charge de la preuve n’est pas sans importance puisque le salarié licencié pour faute lourde n'aura pas droit au bénéfice des indemnités suivantes :
- l’indemnité de licenciement,
- l’indemnité compensatrice de préavis,
- l’indemnité compensatrice de congés payés (pour la période de référence en cours).
De plus, si le salarié a causé un préjudice à l'employeur, il pourra être condamné à le réparer en versant des dommages-intérêts.
En outre, faire grève est un droit fondamental pour autant que l’action collective consiste en une cessation concertée du travail par les salariés d'une entreprise, d'un secteur économique, d'une catégorie professionnelle ou par extension de toute autre personne productive.
Le plus souvent, elle s’enclenche à l'initiative de syndicats. Sa finalité est d’appuyer les revendications des salariés en faisant pression sur les supérieurs hiérarchiques ou l'employeur par la perte de production que la cessation de travail entraîne. Il s'agit d'une épreuve de force : le gréviste n'est pas rémunéré et l'entreprise ne produit plus et perd de l'argent.
Quid juris : jusqu’où le salarié gréviste peut-il « pousser le bouchon » de cette épreuve de force sans tomber dans le comportement fautif et réprimandable ?
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par une société en qualité d'agent de manutention. Suite à l'échec d’une réunion relative à la négociation salariale, un mouvement de grève s'était déclenché et fût interrompu par la signature d'un protocole de fin de grève.
Le salarié avait été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour des faits commis pendant ce mouvement de grève. Puis, un second arrêt collectif du travail avait eu lieu en soutien aux salariés de l'entreprise menacés de sanctions disciplinaires pour des faits commis pendant le premier mouvement de grève.
L’intéressé avait alors reçu une nouvelle convocation à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire visant sa participation à la séquestration d'un membre de l'entreprise. La société décida du licenciement pour faute lourde de l’agent. Ce dernier contestant la légitimité des faits reprochés testait la légitimité de son éviction de l' engagea avec le syndicat CGT une action devant la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de son licenciement et de paiement de diverses sommes.
L'employeur faisait grief à l'arrêt, pour annuler le licenciement, de dire que le mouvement de grève était licite, alors qu'est illicite le mouvement de grève déclenché par solidarité avec un salarié sanctionné pour un motif strictement personnel.
Quid juris : le juge doit-il rechercher pour quel motif les salariés bénéficiant du mouvement de solidarité étaient objectivement sanctionnés ?
En l'espèce, les constatations de la cour d'appel de Douai relevaient que la sanction disciplinaire dont était menacé l’agent visait des faits de violence qu'elle-même avait qualifiés de fautifs bien qu'ils aient été commis au cours du précédent mouvement de sorte qu'ils constituaient une faute personnelle.
En jugeant cependant, en termes hypothétiques, que « ces menaces pouvaient apparaître comme caractérisant une volonté d'intimidation des salariés grévistes, de sorte que la mobilisation destinée à les soutenir répondait à un intérêt collectif », sans rechercher la réalité objective des griefs formulés à l'encontre des autres salariés sanctionnés ou menacés de sanction, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale.
Mais attendu que la cour d'appel, qui avait retenu que le syndicat CGT avait appelé les salariés de l'entreprise à la grève pour soutenir les salariés menacés par des sanctions disciplinaires pour des faits commis lors du précédent mouvement de grève, dont la légitimité n'était pas contestée, et que ces menaces avaient pu être perçues au sein de l'entreprise comme susceptibles de porter atteinte au droit de grève, avait pu en déduire, sans avoir à procéder à la recherche invoquée, que la mobilisation destinée à soutenir les salariés grévistes répondait à un intérêt collectif et professionnel, de sorte que ce mouvement de grève était licite.
Pour annuler le licenciement, l'arrêt s’appuyait sur un constat d'huissier qui relevait que plusieurs salariés, dont notre agent, s’étaient rassemblés dans la cour de l'entreprise et avaient pénétré dans les locaux administratifs pour rester dans le couloir face au bureau du directeur des ressources humaines de l'entreprise. Une personne extérieure à la société déclarait qu'il y avait eu séquestration du DRH et de la direction et qu'une liste de 15 personnes se trouvant dans le couloir et séquestrant le DRH était établie. Le directeur d'établissement avait appelé les gendarmes pour signaler la séquestration du DRH dans son bureau et leur avait demandé de faire évacuer les personnes extérieures à la société.
Une fois que les personnes présentes dans le couloir eussent quitté les lieux, le DRH pu alors sortir de son bureau. Notre agent ne démentait pas avoir participé à un mouvement de défense du droit de grève sur place mais, il contestait avoir pris part à une séquestration.
De son côté, l'employeur n'invoquait pas un comportement particulier imputable à l'intéressé mais, il indiquait au contraire que son niveau d'implication dans les faits était similaire à celui des autres salariés. Par conséquent, s'il avait été licencié c'était en raison du comportement fautif qu'il avait adopté par ailleurs.
En l’espèce, la faute lourde n'était pas caractérisée puisque, ni les propos tenus par le salarié lors du mouvement de grève initial, ni son attitude lors de l'entretien préalable au licenciement, ni sa participation à l'action collective ne démontrait une intention de nuire.
Toutefois, les juges du second degré constataient que l’agent avait personnellement participé à l'action collective au cours de laquelle le DRH avait été retenu dans son bureau. Comme ce dernier n'avait pu sortir qu'après l'évacuation par les forces de l'ordre des personnes présentes, il en résultait que le comportement de l’agent était bien constitutif d'une faute lourde.
Dès lors, la Haute juridiction cassa et annula dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai et condamna l’agent aux dépens.
Avec les difficultés économiques et sociales que la France rencontre, on assiste à la multiplication de mouvements de contestation qui se manifestent par des agissements plus forts afin que ces actualités soient relayées par les médias pour que « le meilleur du pire soit sauvé ». Il n’est donc pas rare de voir des séquestrations de patrons notamment pour empêcher une fermeture d’entreprise ou évincer un plan social.
Mais, cette jurisprudence nous rappelle que tout n’est pas permis pour sauver son emploi et que rien n’excuse la séquestration d’une personne en la retenant enfermée contre son gré. La négociation collective doit retrouver le chemin de l’anticipation des changements à venir dans les entreprises afin de mieux en appréhender les impacts et ainsi prendre les mesures d’accompagnement social adéquates. Saurons-nous enfin parvenir à cette « démocratie sociale » au moment où la France en a le plus besoin ?
Nadia RAKIB
Sources
Cour de cassation, chambre sociale, audience publique du 02/07/14, n°13-12562
Cour d'appel de Douai, arrêt du 21/12/12
Articles L. 2511-1 ; L. 2511-1 du code du travail