Dit autrement, l'exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités qui peuvent être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi. Il s’agit là de mesures nécessaires à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.
Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité d'ingénieur avait été licencié pour faute grave. Il faisait grief à l'arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris de rejeter ses demandes en nullité de son licenciement et en paiement de dommages-intérêts.
Pour sa défense, il avançait que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Or, la cour d'appel avait rejeté sa demande tendant à voir juger que son licenciement était nul aux motifs que les faits relatés dans son courriel n'étaient pas établis et « qu'en reprochant à son employeur des propos insultants qu'il n'était pas en mesure de justifier et en les diffusant dans la société, il aurait émis des critiques excédant l'exercice normal de la liberté d'expression et aurait commis une faute ».
Le salarié avait expressément fait valoir dans ses conclusions que son licenciement était nul car intervenu pour avoir relaté (dans son mail) des agissements de harcèlement moral.
En l’occurrence, le salarié soutenait que le courriel s'inscrivait dans le cadre de l'exercice de son droit d'expression et d'alerte compte-tenu des atteintes aux droits et à la dignité qu'il subissait et des fonctions dont sont investis les délégués du personnel, en se prévalant des dispositions garantissant le droit d'expression, la prohibition du harcèlement, le droit d'alerte et les missions des délégués du personnel.
De plus, le salarié s'était prévalu de son état de santé et du comportement discriminatoire de son employeur.
Quid juris : le salarié devait-il démontrer que son employeur avait apporté à ses droits et libertés individuelles des restrictions non justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ?
Les juges du fond avaient constaté que la lettre de licenciement reprochait au salarié, non pas une dénonciation par lui d'agissements de harcèlement moral, mais d'avoir adressé au président directeur général de la société et diffusé à l'ensemble du service des ressources humaines et aux délégués du personnel un courriel excédant un exercice normal de la liberté d'expression, d'avoir porté à son encontre des accusations de racisme et manifesté à plusieurs reprises son intention de refuser les missions de validation.
Après appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la Cour d’appel de Paris a retenu que le licenciement du salarié était justifié par les propos insultants prêtés au dirigeant et relatés par le salarié dans le courriel diffusé dans l'entreprise.
Quid juris : lorsque l'employeur fonde le licenciement sur une faute grave la charge de la preuve doit-elle lui incomber exclusivement ?
En l’espèce, la cour d'appel avait considéré que le salarié avait commis une faute dans la mesure où il avait reproché à l'employeur des propos insultants qu'il n'était pas en mesure de justifier. La Haute Cour n’a pas suivi ce raisonnement et a rappelé que comme le licenciement avait été prononcé pour faute grave le salarié n'avait rien à démontrer.
Par principe, les salariés jouissent, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de leur liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Toutefois, sans inverser la charge de la preuve, la cour d'appel avait relevé que dans le courriel adressé à son employeur et diffusé dans l'entreprise, le salarié avait prêté à ce dernier des propos insultants dont il n'était pas justifié qu'ils avaient été tenus. Dès lors, les juges du fond pouvaient en déduire que le salarié avait ainsi abusé de sa liberté d'expression et que le licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse. Le pourvoi du salarié a donc été rejeté et il fût condamné aux dépens.
En somme, avant d’accuser mieux vaut être en mesure de prouver les faits allégués. A méditer sans modération…
Nadia RAKIB
Sources
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 novembre 2014, n°13-20.348
Cour d’appel de Paris, 25 avril 2013
Articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail