On n'est donc plus ici dans un traumatisme violent et unique survenant brutalement mais, face à des agressions répétées et durables, qui ont une finalité.
Dès lors, on peut distinguer :
- le harcèlement dit « institutionnel » relatif à une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel : la violence ne relève pas d'un problème épisodique ou individuel mais d'un problème structurel qui relève d'une stratégie ;
- le harcèlement dit « professionnel » qui vise un ou plusieurs salariés en particulier avec l’objectif de d’éviter les procédures légales de licenciement ;
- le harcèlement dit « individuel » qui a pour finalité la destruction d'autrui et/ou la valorisation de son propre pouvoir.
Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en qualité d’animatrice développement des ventes par une société de Laboratoires. Neuf ans plus tard, elle fût licenciée pour faute grave après avoir été mise à pied à titre conservatoire. Elle avait saisi la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander le paiement de diverses sommes.
La société faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy de dire que l’existence d’une faute grave n’était pas démontrée et de l’avoir condamnée à payer à la salariée des sommes à titre d’indemnités de rupture et de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire injustifiée.
Pour sa défense, l’employeur avançait que commet une faute grave le salarié qui fait preuve d’autoritarisme et d’une agressivité non justifiée à l’égard des salariés placés sous sa subordination. A fortiori si ce climat social débouche sur le placement d’une salariée en arrêt de travail pour cause « d’anxiété réactionnelle liée au travail » et la dégradation des conditions de travail des autres membres de l’équipe.
En outre, l’employeur précisait que la faute grave peut être caractérisée indépendamment de tout dénigrement ou harcèlement moral dès lors que le comportement du salarié rendait impossible son maintien dans l’entreprise.
Quid juris : l’employeur, qui a l’obligation de prévenir tout fait de harcèlement dans l’entreprise, devait-il tirer sans délai les conséquences nécessaires du comportement de sa salariée par la rupture immédiate de son contrat de travail ?
Pouvait-on objectivement caractériser une situation de harcèlement moral de la salariée envers ses subordonnées ?
Par principe, les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En l’espèce, les juges du fond avaient relevé que ce n’était pas le cas et donc qu’aucun harcèlement moral n’était caractérisé.
En l’occurrence, il faut savoir que l’obligation faite à l’employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral n’implique pas par elle-même la rupture immédiate du contrat de travail d’un salarié à l’origine d’une situation susceptible de caractériser ou dégénérer en harcèlement moral.
Nonobstant le manque de preuve s’agissant des griefs de harcèlement moral, les juges Nancéiens avaient tout de même estimé que le grief de gestion autoritaire et inappropriée (également reproché à la salariée) était établi. Toutefois, cela ne rendait pas impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise et de facto ne justifiait pas une rupture immédiate de son contrat de travail.
En définitive, il faut bien comprendre que si des faits de harcèlement moral ont été commis par un salarié, celui-ci est passible d’une sanction disciplinaire. Pour autant, il ne s’agit pas de se lancer avec impétuosité dans une procédure de licenciement pour faute grave.
En effet, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral.
Par conséquent, il doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il dispose pour cela d’une totale liberté dans le choix des moyens à mettre en œuvre.
Alors, pas besoin de « se ruer » sur une rupture immédiate du contrat de travail du salarié « présumé harceleur », il s’avère préférable de prendre le temps de la réflexion pour analyser les faits et recueillir des preuves suffisantes. Ne dit-on pas « qu’on ne fait jamais rien de bon dans la précipitation ? »…
Nadia RAKIB
Sources
Cass. soc., 22 oct. 2014, pourvoi no 13-18.862, arrêt n° 1959 FS-P+B
Cour d’appel de Nancy, 5 avril 2013