Commettants, préposés : culpabilité pénale et responsabilité civile

Publié le 24/08/2011 Vu 21 628 fois 1
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

Les conditions d’exonération du commettant, responsable de plein droit des dommages causés par ses préposés depuis l’arrêt Costedoat du 25 février 2000, alimentent un abondant contentieux. La seule constatation de la commission d’une infraction intentionnelle par le préposé ne peut dispenser le commettant de mettre en évidence un abus de fonctions de son préposé, cause exonératoire de sa responsabilité : telle est la position retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 mai 2011.

Les conditions d’exonération du commettant, responsable de plein droit des dommages causés par ses prépos

Commettants, préposés : culpabilité pénale et responsabilité civile

Le commettant est défini comme celui ou celle qui charge une personne, nommée préposé, d’une mission dans l’exécution de laquelle le préposé lui est subordonné. À titre d’exemple, dans un contrat de travail, l’employeur est le commettant et les salariés sont les préposés. L’article 1384, alinéa 5, du code civil prévoit que les commettants sont responsables « du dommage causé par leurs […] préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Il s’agit d’une responsabilité de plein droit, ou objective : à la différence du régime de responsabilité pour faute prévu aux articles 1382 et 1383 du code civil, la victime n’a pas à prouver la faute du commettant. L’arrêt Costedoat du 25 février 2000 énonce que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». Le commettant peut néanmoins s’exonérer de sa responsabilité dès lors qu’il démontre un abus de fonctions de la part de son préposé. Défini par la Cour de cassation dans une décision d’assemblée plénière du 19 mai 1988, l’abus de fonctions est caractérisé lorsque le préposé a « agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions », ces trois critères étant cumulatifs. Toutefois, le commettant ne pourrait-il pas s’exonérer de sa responsabilité dans l’hypothèse d’une faute intentionnelle de son préposé ? Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation répond à cette question par la négative.

En l’espèce, trois salariés d’une discothèque exerçant les fonctions de « videurs » ont blessé un client en l’expulsant de l’établissement. Condamnés pénalement pour violences volontaires, ils doivent sur le fondement d’une action civile verser des dommages et intérêts à la victime. Les trois défendeurs étant certainement insolvables, celle-ci a saisi le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGVAT), qui l’a indemnisée. Dans le cadre d’une action récursoire, le FGVAT s’est ensuite retourné contre la société employeur des trois « videurs » en sa qualité de commettant, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5, du code civil.

La cour d’appel de Riom retient l’existence d’un abus de fonctions au motif que les préposés ont commis une infraction intentionnelle, peu important que celle-ci l’ait été dans le cadre de leur activité professionnelle. Pour les juges du fond, la responsabilité des commettants « ne vaut pas pour les dommages causés par des actes délictueux […] intentionnels, commis par un préposé […], fût-ce dans le cadre de l’activité salarié et sur les lieux de travail, actes délictueux dont la seule responsabilité, y compris dans ses conséquences et obligations réparatrices, ne peut appartenir qu’à l’auteur ». L’infraction intentionnelle révèle donc nécessairement un abus de fonctions exonératoire de responsabilité pour le commettant et ce même si le préposé a agi dans le cadre de son activité salariée et sur son lieu de travail.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation censure cette décision au motif que la commission par le préposé d’une infraction intentionnelle n’implique pas automatiquement un abus de fonctions de sa part. Pour la Cour de cassation, les motifs de la cour d’appel sont « impropres à établir l’existence des conditions d’exonération de l’employeur ». La seule constatation de la commission d’une infraction intentionnelle est insuffisante à établir l’existence d’un abus de fonctions. Cet abus doit être caractérisé au regard du contexte de commission de la faute par le préposé et non pas au regard de sa gravité. Les critères de l’abus de fonctions définis par la jurisprudence du 19 mai 1988, et ceux-là seuls, doivent être remplis.

Cette conception stricte de l’abus de fonctions défendue par la Cour de cassation, qui limite rigoureusement les possibilités d’exonération pour le commettant, vise sans doute à protéger les victimes du risque d’insolvabilité de l’auteur du dommage en leur permettant de recevoir une indemnisation pleine et entière de son préjudice. En effet, si en cas d’insolvabilité de l’auteur du dommage il est possible de se tourner vers le FGVAT, celui-ci peut n’accorder qu’une indemnisation limitée conformément aux articles 706-3 à 706-14 du code de procédure pénale, qui prévoient notamment des conditions de ressources. Le risque de voir les salariés préposés profiter de leurs fonctions pour en abuser relève du risque que doit supporter le chef d’entreprise commettant. À charge pour ce dernier de mettre en place une politique adaptée de prévention et de contrôle de ses préposés afin d’éviter des dérives comparables à celles qui ont conduit au prononcé de cet arrêt.

Nicolas Guerrero

Avocat à la Cour

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

1 Publié par rockandlaw
22/03/2012 22:06

Cela reste quand même très dangereux juridiquement car la responsabilité civile suppose la réponse à ses fautes. Avec cette avancée jurisprudentielle, le préposé ne répond aucunement de ces fautes remettant en cause le principe même de l'article 1382.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.

A propos de l'auteur
Blog de Nicolas Guerrero

Avocat au Barreau de Paris, Nicolas Guerrero vous conseille et vous représente dans toute situation juridique. Nicolas Guerrero est diplômé de l'ESSEC et de l'IEP de Paris, ancien élève de l'Université Panthéon-Assas Paris II et de l'École de formation

Dates de publications
Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles