Pour convaincre les consommateurs de se rendre dans leurs enseignes, les sociétés de la grande distribution multiplient les publicités comparatives pour attester de l’attractivité de leurs prix. Ces enseignes refusant parfois l’accès de leurs magasins aux préposés du concurrent chargé de relever les prix, un vaste contentieux a vu le jour. La Cour de cassation vient préciser le régime juridique de ces pratiques.
En l’espèce, la société HSA, exploitant un centre commercial à l’enseigne Leclerc, souhaite réaliser un relevé de prix de certains produits distribués dans un magasin exploité par la SAS Carrefour Hypermarchés dans la même zone de chalandise, à Saint-Aunès (Hérault). Les salariés se voient refuser l’accès à l’entrée du magasin. La société HSA, après constat par huissier de justice, assigne la société Carrefour devant le tribunal de commerce de Montpellier afin qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de laisser pratiquer par ses préposés les relevés de prix proposés à la vente dans les magasins concernés. Le jugement du tribunal de commerce du 29 juin 2009 fait droit aux demandes de la société HSA. Un appel est alors interjeté par la société Carrefour, qui invoque, d’une part, l’absence d’intérêt à agir de la société HSA qui ne pouvait faire relever les prix que par des opérateurs indépendants afin de garantir l’impartialité des résultats, comme l’a retenu la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre commerciale du 19 janvier 2010, et, d’autre part, le droit au respect du domicile des personnes morales. Par un arrêt du 18 mai 2010, la cour d’appel de Montpellier fait droit aux demandes de la société Carrefour en reconnaissant que son droit de propriété lui donnait la faculté, sauf usage abusif, d’interdire l’accès de ses magasins à des tiers, autres que des clients potentiels. Or, la société HSA ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un usage ou d’une pratique coutumière en matière commerciale l’autorisant à faire effectuer par ses salariés des relevés de prix dans les locaux de son concurrent.
Invitée à se prononcer sur la licéité de ces pratiques, la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 octobre 2011, ouvre davantage la porte à ces contrôles en retenant que « la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande que les concurrents puissent comparer leurs prix et en conséquence en faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs ». La Cour rend sa décision au visa de l’article L. 410-2 du code de commerce qui dispose que « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services […] sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ». Par cet arrêt, la Cour de cassation vient simplement permettre l’application de l’article L. 121-8 du code de la consommation, issu de la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs, qui autorise la publicité comparative à la condition qu’elle « compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ». La pratique des relevés de prix s’impose dès lors car nulle comparaison n’est possible sans connaissance des objets comparés.
Se pose toutefois la question des modalités de ces relevés. Si la Cour de cassation admet « que les concurrents […] puissent faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs », on peut s’interroger sur l’indépendance des relevés effectués. En rapprochant les arrêts du 19 janvier 2010 et du 4 octobre 2011, il apparaît qu’en dépit du surcoût évident induit, une entreprise se protégerait davantage en faisant réaliser ces contrôles par des opérateurs spécialisés indépendants dont la compétence et l’impartialité seraient moins facilement mises en cause.
Â
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour