En 2007, l’entrée en vigueur du Code de déontologie des experts-comptables a provoqué quelques remous au sein de cette profession réglementée. Reprenant une interdiction mise en place par le Code des devoirs professionnels adopté par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables en 1946, l’article 12 du Code de déontologie proscrit toute activité de démarchage, « quelle qu’en soit sa forme, son contenu ou les moyens utilisés ». Les experts-comptables ont ainsi interdiction de prendre contact, à leur initiative, avec de futurs potentiels clients en vue de leur proposer leurs services. Considérant cette interdiction absolue contraire aux règles prévues par la directive européenne du 12 décembre 2006 régissant le marché des services sur le territoire de l’Union européenne, dite directive « services », la Société fiduciaire a saisi le Conseil d’État pour faire invalider le décret d’homologation du Code.
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, qui permet à une juridiction nationale d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation ou la validité d’une norme européenne, le Conseil d’État a posé la question suivante : un État peut-il interdire de façon générale aux membres d’une profession réglementée telle que celle des experts-comptables de se livrer à des actes de démarchage ?
Pour la Cour de Luxembourg, la directive « services » s’oppose à une telle réglementation. Il apparaît en effet que l’Union européenne fait de la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, et de la liberté d’établissement (articles 3 et 43 ce), deux principes fondamentaux sur lesquels elle s’appuie pour favoriser la croissance économique et la création d’emplois sur le territoire de l’Union. Ayant pour objectif de permettre d’établir un marché des services libre et concurrentiel, la directive « services » proscrit l’ensemble des interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.
Sous cette réserve, les États membres demeurent cependant libres d’encadrer le contenu et les modalités des communications commerciales afin que celles-ci, selon les termes de la directive, respectent les règles professionnelles « qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession » (article 24). Les règles édictées à cet effet doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnées. Elles ne peuvent être absolues et priver les membres de la profession réglementée de toute possibilité de communication commerciale. L’esprit de la directive « services » est en ce sens.
La Cour de justice de l’Union européenne n’ayant pas compétence pour trancher le litige national dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, il appartient maintenant au Conseil d’État de se prononcer à la lumière de la position de la Cour. Afin de se mettre en conformité avec les normes européennes, le Code de déontologie des experts-comptables devra être modifié pour qu’il cesse de prévoir une interdiction totale des actes de démarchage mais une interdiction circonscrite à certaines circonstances particulières. Une interprétation extensive de la décision de la Cour devrait conduire les autres professions réglementées telles que les notaires, les commissaires aux comptes ou les avocats à suivre cette voie et à modifier leurs règles déontologiques en ce sens.
Cette jurisprudence communautaire ne serait-elle pas rapidement intégrée en droit interne, les règles de déontologie des professions réglementées deviendront une source abondante de contentieux futurs.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour