Le principe d’égalité interdit de traiter différemment des salariés placés dans une situation identique au regard d’un avantage donné. Des dérogations sont néanmoins admises lorsqu’elles reposent sur des justifications objectives et pertinentes. Critère récurrent de différenciation pour l’attribution d’avantages dans les conventions collectives, la catégorie professionnelle — une nomenclature établie par l’INSEE pour classer la population active en catégories présentant chacune une certaine homogénéité, par exemple : agriculteurs, ouvriers, employés ou cadres — peut-elle justifier à elle seule une différence de traitement ? Une réponse négative a été apportée par la Cour de cassation dans un arrêt DHL du 1er juillet 2009. Une partie de la doctrine, dont les professeurs Antoine Lyon-Caen et Jean-François Cesaro, ont vu dans cette position une source de fragilisation des édifices conventionnels. Dans deux arrêts rendus le 8 juin 2011, la Cour de cassation est venue préciser les éléments qui permettent de réserver valablement un avantage conventionnel aux salariés d’une catégorie professionnelle déterminée.
Le schéma était identique dans les deux affaires. Considérant comme injustifié le critère de la seule appartenance à une catégorie déterminée, un salarié demandait le bénéfice d’un avantage conventionnel réservé à une autre catégorie professionnelle. Dans la première affaire, un cadre réclamait le versement de la prime d’ancienneté attribuée par la convention collective de l’industrie pharmaceutique aux assimilés cadres. Dans la seconde affaire, un salarié relevant de la catégorie des employés, techniciens et agents de maîtrise, demandait à bénéficier des indemnités de préavis et de licenciement prévues pour les cadres par la convention collective régionale du bâtiment de la région parisienne. La Cour de cassation a d’abord rappelé sa jurisprudence antérieure selon laquelle la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard d’un avantage donné, sauf si cette différence repose sur une raison objective. Puis la Cour de considérer la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur l’appartenance à une catégorie professionnelle comme justifiée par une raison objective « dès lors que cette différence de traitement a pour objet de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ».
S’il est donc possible de réserver un avantage conventionnel à une catégorie professionnelle, l’employeur ne peut se justifier par ce seul critère. Il doit aller plus loin et préciser la raison objective de l’octroi de l’avantage à telle catégorie plutôt qu’à une autre. Le bénéficie d’un avantage différent doit avoir pour objet, ou pour but, de prendre en compte les spécificités de la catégorie professionnelle concernée. Les indices donnés par la Cour de cassation renvoient aux critères d’identification des catégories professionnelles. Dès lors, suffira-t-il que la situation des salariés, appréhendée sous l’un de ces trois angles, présente une spécificité pour justifier la différence de traitement ? La liste fournie par la Cour de cassation n’étant pas limitative, comme le démontre l’utilisation de l’adverbe « notamment », d’autres justifications pourront être avancées.
Pour une entreprise, l’adoption d’une norme collective repose sur une répartition équilibrée d’avantages entre les catégories de salariés. Si l’avantage le plus favorable est appliqué par-delà les différenciations catégorielles au nom du principe de l’égalité de traitement, c’est toute l’économie de la convention qui s’en trouve modifiée, la volonté des parties méconnue et l’équilibre de l’entreprise altéré.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour