Instauré par une loi du 22 juillet 1992, modifiée par deux lois du 17 juin 1998 et du 17 janvier 2002, le délit de harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du code pénal punissait d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».
En l’espèce, un homme a été condamné, le 15 mars 2011, par la cour d’appel de Lyon (Rhône) pour des faits de harcèlement sexuel. À la suite de cette condamnation, il a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité. Rappelons que ce mécanisme permet à un justiciable au cours d’une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et de demander la saisine du Conseil constitutionnel pour examen. L’intéressé soutenait que l’article 222-33 du code pénal était contraire aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à l’article 34 de la Constitution ainsi qu’aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu’il punit « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir les éléments constitutifs de ce délit. En d’autres termes, la rédaction de l’article 222-33 du code pénal serait contraire au principe de légalité des délits et des peines aux termes duquel on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair. L’avocat de l’intéressé soutenait que la rédaction litigieuse de l’article précité amenait le juge à prononcer « une décision subjective, en fonction de la conception personnelle qu’il a de la sexualité, voire de ses fantasmes ».
Or, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 juillet 1996, impose que les infractions soient « définies dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ». De même, dans une décision des 19 et 20 janvier 1981, le Conseil retient « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. »
Partant, le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a prononcé l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal au motif que sa rédaction permettait « que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ». Conformément à l’article 62 de la Constitution selon lequel « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision », le Conseil a précisé que cette abrogation était « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ».
Cette décision emporte plusieurs conséquences. En premier lieu, les affaires en cours seront abandonnées en raison de la disparition de la base légale des chefs d’inculpation. En second lieu, aucune nouvelle poursuite ne pourra être engagée, y compris pour des faits antérieurs à la décision du 4 mai dernier, jusqu’à l’adoption dans le code pénal d’une nouvelle incrimination de harcèlement sexuel. En revanche, les personnes dont la condamnation a déjà été prononcée et n’est plus susceptible de recours ne sauraient obtenir une révision de la décision prononcée à leur encontre.
Le vide juridique laissé par l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal a été vivement critiqué par les associations de victimes qui espéraient son maintien jusqu’au vote d’une nouvelle loi. Subsiste malgré tout, à l’article L. 1153-1 du code du travail, la définition du harcèlement sexuel au travail. Cet article, dans sa rédaction issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, dispose que « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits ». Si la rédaction n’est guère plus précise que celle de l’ancien article 222-33 du code pénal, en l’absence de décision du Conseil constitutionnel ou d’adoption d’un nouvel article par le législateur, ce texte continue de s’appliquer. À moins qu’une autre question prioritaire de constitutionnalité ne soit posée à son propos, ainsi que dans le cas qui suit, et ne reçoive pareille réponse.
Le cas de la définition du harcèlement moral peut également se poser. Le 10 mai 2012, une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité en ce sens a été transmise à la Cour de cassation par le tribunal correctionnel d’Épinal (Vosges) dans le cadre d’un litige qui oppose un chef d’entreprise à plusieurs de ses salariés, concernant les dispositions relatives au harcèlement moral défini à l’article 222-33-2 du code pénal, issu de la loi du 17 janvier 2002 précitée, comme « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». La Cour de cassation dispose de trois mois pour décider de transmettre ou non cette question au Conseil constitutionnel. À ce jour, dès lors, harceler sexuellement est possible, harceler moralement ne l’est pas.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour