Depuis le 1er mars 1994, à la faveur de la réforme du code pénal, les personnes morales peuvent voir leur responsabilité pénale engagée. L’article 121-2 du code pénal dispose ainsi que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement […] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». La chambre criminelle de Cour de cassation retient, notamment dans un arrêt du 14 décembre 1999, qu’a la qualité de représentant la personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires en raison d’une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale. Ainsi, dans un arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation admet que « le salarié d’une société, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, est un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal ; il engage donc la responsabilité pénale de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation ». L’existence d’une telle délégation de pouvoir doit néanmoins être suffisamment caractérisée pour que son titulaire soit susceptible d’engager la responsabilité pénale de la personne morale. Tel n’est pas le cas dans un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 octobre 2011.
En l’espèce, un salarié d’une société de travaux électriques chute mortellement d’un poteau électrique après s’être électrocuté. Deux agents de la société chargés des opérations préalables aux travaux effectués par le salarié sont alors déclarés coupables d’homicide involontaire pour avoir provoqué la mort de ce dernier, faute pour eux de s’être assurés de la mise hors tension du poteau électrique avant son intervention. Dans un arrêt du 16 septembre 2010, la cour d’appel de Fort-de-France confirme le jugement de première instance ayant également condamné la société pour homicide involontaire au motif que l’infraction a été commise par les deux agents qui, « leur statut et leurs attributions étant clairement définis, étaient les représentants de la société, nonobstant l’absence formelle de délégation de pouvoirs ».
Toutefois, la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 octobre 2011, censure le raisonnement de la cour d’appel. En effet, elle retient qu’« en [se] prononçant ainsi, sans mieux s’expliquer sur l’existence effective d’une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale, au sens de l’article 121-2 du code pénal », la cour d’appel n’a pas suffisamment justifié sa décision.
Dès lors, en l’absence d’une délégation de pouvoirs écrite, la cour d’appel doit mettre en exergue les éléments démontrant l’existence d’une telle délégation. Elle doit identifier le statut et les attributions des agents concernés, notamment leurs compétences, leur autorité et les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs fonctions. L’absence de l’une de ces conditions rend impossible l’existence d’une délégation de pouvoirs. Par suite, les agents concernés ne pouvaient avoir la qualité de représentant de la personne morale, ni engager la responsabilité pénale de cette dernière.
Dans un arrêt du 20 juin 2006, la Cour de cassation avait déclaré une société coupable du délit d’homicide involontaire sans préciser l’identité de l’auteur des manquements constitutifs du délit, dès lors que « l’infraction n’a pu être commise, pour le compte de la société, que par ses organes ou représentants ». L’arrêt du 11 octobre 2011 est d’une meilleure orthodoxie juridique en ce qu’il oblige la cour d’appel, non seulement à identifier le représentant de la personne morale titulaire d’une délégation de pouvoirs, mais encore à s’expliquer sur l’existence effective de cette dernière. Le risque pénal peut être géré par l’employeur dès lors que les salariés susceptibles d’engager la responsabilité de la personne morale sont clairement identifiés et sont titulaires d’une délégation écrite. Aucun salarié non titulaire d’une délégation écrite ne doit, dans les faits, être placé en situation de délégataire. À défaut, l’entreprise ignore les risques qui pèsent sur elle.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour