L’article 220, alinéa 1er, du code civil prévoit que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ». Dès lors, « toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement », peu important le type de régime matrimonial choisi par les époux. Les dettes ménagères, qui comprennent toute dépense faite par un époux et ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, engagent par conséquent les patrimoines des deux époux qui répondent de la totalité de la somme, même lorsque l’engagement a été contracté par un seul d’entre eux. Si le caractère ménager de certaines dépenses, telles que les frais de nourriture ou le logement, ne fait aucun doute, il apparaît plus malaisé à établir dans d’autres hypothèses, telles que les cotisations sociales obligatoires.
En l’espèce, deux personnes se sont mariées en 1971, puis ont choisi de se séparer à partir de décembre 1981. L’épouse s’établit en Allemagne mais le divorce n’est prononcé qu’en 2008. En raison de difficultés financières, l’époux, affilié à la Mutualité sociale agricole depuis 1973, n’a pas réglé les cotisations dues au titre de la période allant de 2000 à 2007. Le 28 juin 2008, la Mutualité sociale agricole assigne en paiement la conjointe de son débiteur sur le fondement de l’article 220 du code civil précité. Condamnée à payer à cet organisme la somme de 54 441,03 euros par un jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Besançon du 16 mars 2009, la conjointe interjette appel. Saisie du litige, la cour d’appel de Besançon déboute la Mutualité sociale agricole de ses demandes par un arrêt infirmatif du 2 mars 2010. Au soutien de sa décision, la cour d’appel retient que les époux étaient séparés depuis le 31 décembre 1981 ; que l’épouse, qui résidait depuis cette date en Allemagne, disposait de revenus personnels et ignorait les activités de son conjoint ; qu’enfin, la caisse de la Mutualité sociale agricole connaissait la situation matrimoniale de son assuré. La Mutualité sociale agricole forme alors un pourvoi en cassation. La question posée à la Haute juridiction était de savoir si les cotisations dues par un époux au titre d’un régime légal obligatoire d’assurance maladie et d’assurance vieillesse constituaient des dettes ménagères soumises à la solidarité légale malgré une séparation de fait des deux époux.
La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel en vertu de l’alinéa 1er de l’article 220 du code civil. Elle décide, en effet, que les dettes litigieuses sont soumises à la solidarité propre aux dettes ménagères et que la séparation de fait n’a pas d’incidence sur les obligations nées du mariage.
Ainsi, l’application de l’article 220 du code civil ne distingue pas entre l’entretien actuel, futur ou éventuel du ménage. La nature et l’objet de la dette priment son origine. De même, pour la Cour de cassation, l’argument de la connaissance de la dette est inopérant. Le fait que l’épouse ne soit pas informée des dettes de son mari envers la caisse n’a aucune d’incidence sur la solidarité. Légale, la solidarité ne prend fin qu’avec la transcription du jugement du divorce sur les registres de l’état civil, conformément à l’article 262 du code civil.
La jurisprudence de la Cour de cassation permet néanmoins d’écarter la solidarité de manière exceptionnelle, lorsque les dettes sont contractées dans l’intérêt exclusif d’un seul époux. En l’espèce, les époux étant encore officiellement mariés, le mari n’était pas le seul à pouvoir bénéficier des prestations sociales servies par la Mutualité sociale agricole. En effet, l’affiliation du conjoint à un régime d’assurance sociale permet à l’épouse, le cas échéant, de bénéficier de la pension de réversion, nonobstant leur séparation de fait, aussi longue soit-elle. Cette solution vient confirmer un arrêt du 4 juin 2009 de la première chambre civile de la Cour de cassation selon lequel le droit à une pension de réversion au profit du conjoint survivant est une condition nécessaire pour que la dette résultant des cotisations d’assurance vieillesse puisse être qualifiée de ménagère.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour