La ville d’Avignon (Vaucluse) pensait avoir trouvé une manne financière importante avec l’idée de la « taxe trottoir », entrée en vigueur à la suite d’une délibération du conseil municipal du 21 octobre 2010. Le mécanisme était simple. La délibération instaurait « une redevance d’utilisation du domaine public pour tous distributeurs automatiques bancaires installés en façade de bâtiment et accessibles directement depuis le domaine public ainsi que pour tous les commerces pratiquant des ventes ou activités diverses au travers de vitrines ou de comptoirs ouvrant sur le domaine public ». Ainsi, dès lors qu’un commerçant utilisait le domaine public pour son activité, il devait payer une redevance à la municipalité. Plus exactement, dès lors que l’activité du commerçant conduisait à monopoliser une partie du domaine du public par la « stagnation » des clients et conférait au commerçant un avantage. Tels étaient notamment le cas des kebabs, snacks, distributeurs de billets et commerces de proximité.
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir formé par plusieurs commerçants de la ville et tendant à faire annuler la délibération précitée, qui constitue une décision administrative, le tribunal administratif de Nîmes (Gard), dans un jugement du 3 mars 2011, avait validé cette « taxe trottoir » sur le fondement de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que « nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ». De surcroît, l’article L. 2125-1 du même code prévoit que « toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique […] donne lieu au paiement d’une redevance », dont le montant tient compte des avantages de toute nature procurées au titulaire de l’autorisation, selon l’article L. 2125-3 dudit code. Ainsi, pour le tribunal, l’utilisation du domaine public à des fins privatives doit nécessairement donner lieu à redevance, même sans autorisation particulière.
Saisie par les requérants déboutés en première instance, la cour administrative d’appel de Marseille (Bouches-du-Rhône), dans une décision du 26 juin 2012, relève, en premier lieu, que « la redevance d’occupation ou d’utilisation du domaine public correspond à la rémunération du droit d’occupation ou d’utilisation privative de la dépendance concernée » du domaine public. L’autorisation accordée pour utiliser le domaine public permet au propriétaire ou au gestionnaire de la dépendance, en l’espèce une commune, de percevoir une rémunération en contrepartie de cet avantage. Toutefois, la personne publique doit avoir accordé explicitement ce droit « par la délivrance d’une autorisation expresse à cet effet ». Par conséquent, l’autorisation ne saurait être implicite.
La cour administrative d’appel devait ici se prononcer sur la question suivante : le stationnement de clients devant des commerces pratiquant des ventes ou activités diverses au travers de vitrines ou de comptoirs ouvrant sur le domaine public s’analyse-t-il en une occupation du domaine public dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ?
Se fondant sur les mêmes textes que le tribunal administratif, la cour administrative d’appel adopte un raisonnement différent et censure le principe de la taxe : « l’utilisation, le temps d’une transaction, de la dépendance du domaine public de la commune d’Avignon constituée par les trottoirs bordant les voies publiques de ladite commune et normalement affectée à la circulation générale des piétons, par les clients des établissements bancaires disposant de distributeurs automatiques bancaires installés en façade de bâtiment et accessibles directement depuis ledit domaine public, ainsi que de tous les commerces pratiquant des ventes ou activités diverses au travers de vitrines ou de comptoirs ouvrant sur le même domaine, présente un caractère momentané ; qu’une telle utilisation du domaine public, non privative, ne dépasse pas le droit d’usage qui appartient à tous et ne requiert pas ainsi la délivrance par la commune d’une autorisation ».
La décision de la cour administrative d’appel de Marseille est faite de bon sens. Il pourrait en effet être soutenu que le fait de permettre à des commerçants d’utiliser gratuitement le domaine public pour faire stationner leurs clients conduirait à accorder auxdits commerçants un avantage à titre gracieux alors même les dispositions légales prévoient que la redevance d’occupation doit tenir compte des avantages procurés. Cependant, en suivant cette logique, il conviendrait de faire payer cette redevance à l’ensemble des commerçants, sans exception, dans la mesure où les clients utilisent les trottoirs des rues pour se rendre dans les boutiques et participent ainsi à leur activité économique : chacun constate le caractère absurde d’un tel raisonnement. Cela reviendrait à créer une nouvelle taxe reposant sur la seule ouverture d’un commerce. Que l’utilisation permanente du domaine public, telle que la mise en place de terrasses, soit taxée est compréhensible. Autoriser la taxation des utilisations inévitables et momentanées du domaine public en validant cette délibération du conseil municipal d’Avignon l’eût été bien moins.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour