La loi Evin a plus de 20 ans aujourd’hui. Son objectif était d’encadrer la communication des boissons alcoolisées pour protéger les populations à risques, en particulier les jeunes. D’un point de vue juridique, que pourriez-vous nous dire sur cette loi ?
La loi Evin, comme les lois qui l’ont précédée au sujet de l’alcool et les textes qui l’ont suivie tels que ceux qui prescrivent des messages « sanitaires », part du principe que le consommateur doit être protégé contre la séduction des messages publicitaires qui sont incitatifs. Dans les faits, la loi a réglementé de manière générale la publicité avec le postulat que cela touche inévitablement les populations à risques. Au regard de cet objectif, son angle d’attaque, « tout ce qui n’est pas autorisé est interdit », ne me paraît pas bon. S’agissant d’un texte visant à limiter les comportements incitatifs, il serait préférable de dire ce qui n’est pas autorisé, comme le faisait la loi Barzach. Au lieu de cela, on a un texte qui autorise des supports et les sujets, comme dans un inventaire à la Prévert, mais qui, immédiatement, limite cette autorisation : la radio, mais à certaines heures, internet mais sans publicité intrusive. Et cet inventaire est toujours en retard d’une innovation, par exemple Internet n’existait pas en 1991.
Quel constat tirez-vous après 20 ans d’application, d’un point de vue juridique ?
Au-delà du débat sur son efficacité, essentiellement que les professionnels vivent dans une totale instabilité liée à l’interprétation que font les juges de cette loi. On a vu ainsi un même tribunal, dirigé par une même et seule personne, dire des choses radicalement contraires sur la présence des marques d’alcool sur internet et les réseaux sociaux. D’autre part, la manière dont l’ANPAA fait un choix entre les publicités pour n’en n’assigner que certaines est très aléatoire, arbitraire et difficilement compréhensible. En tant que conseil des entreprises, je constate que la connaissance et le maniement de la loi Evin sont extrêmement malaisés du fait de cette instabilité. Cette loi est rédigée en termes trop généraux qui laissent libre cours à de nombreuses interprétations et à une part très grande de subjectivité. Il est impossible d’avoir la certitude que le message publicitaire qui est diffusé est légal. Or s’agissant d’un texte pénal, cette incertitude est très contestable. Et peut entrainer la tentation de considérer les actions judiciaires comme de simples risques financiers à budgéter ce qui permet de s’exonérer du respect de la loi. Signant par là l’échec de l’objectif de prévention. Enfin il y a trop d’éléments passionnels autour de cette loi et de son application ce qui entraine des dérives comme par exemple la décision contre l’article de Paris Match au printemps qui assimile toute référence à une boisson alcoolisée, à une publicité.
Si vous deviez appeler de vos vœux une modification de la loi, en gardant en tête la nécessaire protection des populations à risques, quelle serait-elle?
A minima, la principale modification qu’il conviendrait d’apporter à la loi Evin, plutôt que de trancher dans les supports autorisés, serait de préciser les termes, de donner des définitions. Qu’entend-on par « publicité » ? A partir de quel moment doit-on considérer qu’un site de communication en ligne est destiné à la jeunesse ? Qu’est qu’un support de presse ? Les actions de marketing direct et la PLV sont-elles dans le scope ? Il conviendrait aussi que la loi Evin adapte certaines de ses dispositions au 2.0. L’interdiction de la radio à certaines heures s’applique-t-elle aux web radios ? Comment exprimer le message sanitaire sur internet ? Quid des appli mobiles « utilitaires » ? La meilleure des modifications serait sans doute de réécrire le texte pour supprimer les effets de superposition de textes différents, pour l’adapter aux moyens actuels de communication et pour renverser le postulat de base en disant clairement ce qui est interdit, aussi bien en ce qui concerne les supports que les thèmes de la publicité.