À
Mesdames et Messieurs les Président et Assesseurs
Cour nationale du droit d’asile
35, rue Cuvier
93558 MONTREUIL-SOUS-BOIS CEDEX
Recours n° : 10010051
Audience du 12 juillet 2011 à 13h45 s. 12
Envoyé par télécopie le
Mémoire complémentaire
Pour :
M.
REQUÉRANT
Ayant pour conseil Maître Parvèz DOOKHY
Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit en Sorbonne
1, rue Gay-Lussac
75005 PARIS
Téléphone : 01.48.36.55.29 Télec.01.45.48.44.04 Port. 06.16.66.12.80
Toque : G-361 p.dookhy@gmail.com
Et Maître Jean-Marc MARINELLI
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
Contre :
Monsieur le Directeur de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
DÉFENDEUR
*
* * *
L’exposant entend faire valoir les arguments ci-après exposés
I. Exposé des faits et de la procédure
Le requérant entend réitérer sa demande d’annulation de la décision attaquée de l’Office en sollicitant l’asile conventionnel et, de manière alternative, la protection subsidiaire.
Le requérant fait valoir les arguments qui suivent.
II. Discussion
Sur participation du rapporteur au délibéré
Le requérant demande à ce que le rapporteur ne participe pas au délibéré de la formation de jugement dans son affaire.
En vertu des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et notamment de l’article R 733-17, les rapporteurs, qui ne font pas partie de la formation de jugement, participent aux délibérés sans voix délibérative. Selon l’usage répandu, ils sont les rédacteurs de la décision, à tout le moins, du projet de décision.
Le Conseil d’État a estimé que « la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d’asile, qui est une juridiction administrative, doit observer toutes les règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ou n’est pas incompatible avec son organisation » (Conseil d’État : 10 décembre 2008, ISLAM c/ OFPRA, n° 284159). Cette jurisprudence a été confirmée dans l’arrêt OFPRA c/ M. DAVID du 12 juillet 2009, req. N° 306490).
Le rôle du rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile correspond à celui du commissaire du gouvernement devant une juridiction administrative avant la réforme introduite par le décret n° 2006-964 du 1er août 2006.
La présence du commissaire du gouvernement au cours du délibéré a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une affaire de la Grande Chambre du 12 avril 2006 intitulée MARTINIE c. FRANCE, (Requête no 58675/00), le juge européen a estimé que :
« b) Appréciation de la Cour
- La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif (point 2) de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la « participation » du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme (§§ 80 et 87), tantôt de celui de « présence » (titre 4 et §§ 82, 84 et 85), ou encore des termes « assistance » ou « assiste » ou « assister au délibéré » (§§ 77, 79, 81, 85 et 86). La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du Gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive ». Les paragraphes 84 et 85, par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du Gouvernement selon lequel la « présence » du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette « assistance » purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa « présence », exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français.
Tel est au demeurant le sens que l’on doit donner à cet arrêt au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci ayant condamné non seulement la participation, avec voix consultative, de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation belge (arrêts Borgers et Vermeulen, précités), mais aussi la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour suprême portugaise, quand bien même il n’y disposait d’aucune voix consultative ou autre (arrêt Lobo Machado, précité), et la seule présence de l’avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation française (arrêt Slimane-Kaïd (no 2), précité) ; cette jurisprudence se fonde pour beaucoup sur la théorie des apparences et sur le fait que, comme le commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives françaises, les avocats généraux et procureur général en question expriment publiquement leur point de vue sur l’affaire avant le délibéré.
- Cela étant, la Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents – même si, la Convention étant avant tout un mécanisme de défense des droits de l’homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les Etats contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (voir, par exemple, les arrêts Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001-I, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI).
En l’espèce, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence Kress.»
Par ailleurs, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Le Conseil constitutionnel a estimé que la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d'asile, était une « juridiction administrative » (Décision n° 98-399 DC du 05 mai 1998, cons. 16).
La protection prévue par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, faisant partie du bloc de constitutionnalité, ne peut être inférieure à celle prévue, puis développée, à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et citée supra.
En droit interne, la Constitution est la norme suprême. Aucune clause d'un traité ou d'un engagement international ne peut lui être contraire. Le Préambule de la Constitution de 1958 proclame que "la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international".
Le Conseil constitutionnel a accordé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme toute la portée de l’article 6 de la Convention européenne.
Au regard de ce qui précède, la présence du rapporteur au délibéré méconnaît tout autant l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme s’applique dans le cas d’espèce en dépit d’un arrêt ancien du Conseil d’Etat du 10 janvier 2003, n° 228947, M. Cherif E. Le Conseil d’Etat avait alors estimé que : « la commission des recours des réfugiés ne statuant pas sur des contestations de caractère civil, le moyen tiré de ce que sa composition méconnaîtrait les stipulations du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est, en tout état de cause, inopérant ». Cette jurisprudence est aujourd’hui forcément caduque dans la mesure où depuis l’entrée en vigueur de la Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile , la Cour nationale du droit d'asile a l’obligation de statuer sur une demande de protection subsidiaire qui est l’application même en droit interne français de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
A tout le moins, la jurisprudence Martinie et la réforme successive en matière du contentieux administratif démontrent que les règles posées par la Cour européenne font partie « règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ». En effet, le code de justice administrative dispose désormais qu'au sein des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : « La décision est délibérée hors la présence des parties et du rapporteur public » (art. R732-2 du CJA), tandis qu'au Conseil d'État : « Sauf demande contraire d'une partie, le rapporteur public assiste au délibéré. Il n'y prend pas part. » (art. R733-3).
Le rapporteur exprime publiquement une position sur l’affaire dont est saisie la Cour nationale du droit d'asile. Sa présence au délibéré et son rôle en tant que rédacteur de la décision à intervenir lui permettent de soutenir jusqu’au prononcé de la décision son point de vue, préalablement exprimé publiquement, en violation du principe fondamental du respect du contradictoire.
Sur la communication des conclusions du rapporteur
Devant les juridictions administratives, les parties peuvent désormais demander communication du sens général des conclusions du rapporteur public préalablement à l’audience.
En vertu de cette règle, le requérant demande à ce qu’au moins le sens des conclusions du rapporteur lui soit préalablement communiqué.
Par ces Motifs
Et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office, et sous réserve de ses observations orales, le requérant persiste dans ses précédentes écritures et conclut à ce qu’il plaise à la Cour nationale du droit d’asile :
1) de prendre acte de sa demande à ce qu’au moins le sens des conclusions du rapporteur lui soit préalablement communiqué ;
2) de délibérer hors la présence du rapporteur ;
3) d’annuler la décision attaquée avec toutes conséquences de droit ;
4) de lui accorder l’asile conventionnel ;
5) à titre secondaire, de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.
SOUS TOUTES RÉSERVES
ET CE SERA JUSTICE
Paris, le 5 juillet 2011