La Cour nationale du droit d’asile a été saisie d’une demande de question préjudicielle à la Cour de Justice de l’UE

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La Cour nationale du droit d’asile a été saisie d’une demande de question préjudicielle à la Cour de Justice de l’UE

Dans une affaire entendue le 5 février 2013, Maître Parvèz Dookhy demandé à la Cour nationale du droit d’asile de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne en vue d’une interprétation de l’étendue de l’application de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux.

Ci-dessus un extrait de la requête:

 

A.   IN LIMINE LITIS, QUESTION PREJUDICIELLE DEVANT LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION

 

Sur participation du rapporteur au délibéré

 

Le requérant demande à ce que le rapporteur ne participe au délibéré de la formation de jugement dans son affaire en vertu des stipulations de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

 

L’article 47 de la Charte énonce :

 

« Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »

 

L’article 18 de la même Charte affirme :

 

« Droit d'asile

Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne ».

 

La Charte est entièrement applicable aux contentieux de l’asile ou de tout autre protection.

 

En vertu des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et notamment en son article R 733-17, les rapporteurs auprès de la Cour nationale du droit d'asile, qui ne font pas partie de la formation de jugement, participent aux délibérés sans voix délibérative. Selon l’usage répandu, ils sont les rédacteurs de la décision de justice, à tout le moins, du projet de décision.

 

Le Conseil d’État a estimé que « la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d’asile, qui est une juridiction administrative, doit observer toutes les règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ou n’est pas incompatible avec son organisation » (Conseil d’État : 10 décembre 2008, ISLAM c/ OFPRA, n° 284159). Cette jurisprudence a été confirmée dans l’arrêt OFPRA c/ M. DAVID du 12 juillet 2009, req. N° 306490).

 

Le rôle du rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile correspond à celui du commissaire du gouvernement devant une juridiction administrative avant la réforme introduite par le décret n° 2006-964 du 1er août 2006.

 

La présence du commissaire du gouvernement au cours du délibéré a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une affaire de la Grande Chambre du 12 avril 2006 intitulée MARTINIE c. FRANCE, (Requête no 58675/00), le juge européen a estimé que :

 

« b)  Appréciation de la Cour

53.  La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif (point 2) de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la « participation » du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’État, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme (§§ 80 et 87), tantôt de celui de « présence » (titre 4 et §§ 82, 84 et 85), ou encore des termes « assistance » ou « assiste » ou « assister au délibéré » (§§ 77, 79, 81, 85 et 86). La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du Gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive ». Les paragraphes 84 et 85, par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du Gouvernement selon lequel la « présence » du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette « assistance » purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa « présence », exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français.

Tel est au demeurant le sens que l’on doit donner à cet arrêt au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci ayant condamné non seulement la participation, avec voix consultative, de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation belge (arrêts Borgers et Vermeulen, précités), mais aussi la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour suprême portugaise, quand bien même il n’y disposait d’aucune voix consultative ou autre (arrêt Lobo Machado, précité), et la seule présence de l’avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation française (arrêt Slimane-Kaïd (no 2), précité) ; cette jurisprudence se fonde pour beaucoup sur la théorie des apparences et sur le fait que, comme le commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives françaises, les avocats généraux et procureur général en question expriment publiquement leur point de vue sur l’affaire avant le délibéré.

54. Cela étant, la Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents – même si, la Convention étant avant tout un mécanisme de défense des droits de l’homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (voir, par exemple, les arrêts Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001-I, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI).

En l’espèce, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence Kress.

55.  Partant, il y a eu, en la cause du requérant, violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’État. »

 

L’article 47 de la Charte ne diffère nullement sur le fond de l’article 6 de la Convention Européenne. Il n’est pas une protection inférieure.

 

L’article 47 de la Charte doit être lu au regard de la jurisprudence de la Cour européenne sur l’article 6 de la Convention européenne.

 

Dans un arrêt de la Cour de Justice (grande chambre) du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone et autres c. Conseil des ministres, elle indique : « 29. Il convient de rappeler également que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, en ce sens, arrêts du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, Rec. p. 419, point 7; du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, Rec. p. I‑1611, point 37, et du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, non encore publié au Recueil, point 26). Ainsi, le droit à un procès équitable tel qu’il découle, notamment, de l’article 6 de la CEDH constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE. »

 

Dans un arrêt récent du 3 mai 2012, Comap SA c/ Commission Européenne, la Cour de Justice a rappelé « que, même avant l’entrée en vigueur de ce traité, la Cour avait déjà constaté à plusieurs reprises que le droit à un procès équitable tel qu’il découle, notamment, de l’article 6 de la CEDH constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE. »

 

Le rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile exprime publiquement une position sur l’affaire dont est saisie la Cour nationale du droit d'asile. Il donne un sens, une orientation à ses conclusions et propose une solution au litige à la Cour. Sa présence au délibéré et son rôle en tant que rédacteur de la décision à intervenir lui permettent de soutenir jusqu’au prononcé de la décision son point de vue, préalablement exprimé publiquement, en violation du principe fondamental du respect du contradictoire.

 

La situation du rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile n’est en rien différente de ce qu’a été le commissaire du gouvernement avant la réforme intervenue suite à l’arrêt Martinie précitée.

 

Le requérant n’entend pas remettre en cause l’indépendance ou l’impartialité éventuelle du rapporteur, dont l’identité ne lui est pas connue à ce stade de la procédure. Le requérant invoque le respect du principe du contradictoire dans son intégralité tel qu’il a été jugé et appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme en interprétant l’article 6 de la Convention et contenu incontestablement dans l’article 47 (aliéna 2) de la Charte précitée.

 

Le requérant demande à ce que rapporteur ne puisse être présent au délibéré en écartant de son application l’article R 733-17 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou à tout le moins qu’une question préjudicielle soit renvoyée à la Cour de Justice de l’Union sur la validité de l’article R 733-17 précité par rapport à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union applicable au présent contentieux.

 

La question préjudicielle à transmettre serait la suivante : « L’article R 733-17 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile méconnaît-il les stipulations de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ? »

 

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