À
Madame le Président
Cour nationale du droit d'asile
35, rue Cuvier
93558 MONTREUIL SOUS BOIS CEDEX
Recours n° :
OFPRA: 2010-05-0
Mémoire envoyé par télécopie le : 26/04/2011
Mémoire
portant sur une
Question Prioritaire de Constitutionnalité
Pour :
Monsieur M N
Né le 1er janvier au Bangladesh
De nationalité bangladaise
Demeurant chez
Bat A
135, avenue
93
Demandeur à la QPC
Ayant pour conseils Maître Parvèz DOOKHY
Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit en Sorbonne
1, rue Gay-Lussac
75005 PARIS
- Téléphone : 01.45.48.44.44 Télec.01.45.48.44.04 Courriel : p.dookhy@gmail.com
Toque : G-361
Et Maître Daniel FELLOUS
Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit
Contre :
Une décision de rejet de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
Monsieur le Directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
Défendeur à la QPC
*
* * *
L’exposant entend soulever la Question Prioritaire de Constitutionnalité qui suit et demander sa transmission au Conseil d’Etat
I. Exposé des faits et de la procédure
Monsieur M N a saisi la Cour nationale du droit d'asile d’un recours tendant à l’annulation d’une décision en date du 15 mars 2011 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Monsieur M N soulève in limine litis un moyen tiré de ce que l’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, dont il est fait application dans la présente procédure, porte atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution, et plus précisément à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
II. Dispositions législatives contestées
L’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France (modifié par Loi 2007-1631 2007-11-20 art. 29 I, II JORF 21 novembre 2007) dispose que :
« La Cour nationale du droit d'asile comporte des sections comprenant chacune :
1° Un président nommé :
a) Soit par le vice-président du Conseil d'Etat parmi les membres du Conseil d'Etat ou du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, en activité ou honoraires ;
b) Soit par le premier président de la Cour des comptes parmi les magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, en activité ou honoraires ;
c) Soit par le garde des sceaux, ministre de la justice, parmi les magistrats du siège en activité et les magistrats honoraires de l'ordre judiciaire ;
2° Une personnalité qualifiée de nationalité française, nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat ;
3° Une personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'Etat sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de l'office. »
Les dispositions précitées, notamment le 3° de l’article L 732-1, méconnaissent la séparation des pouvoirs, la garantie des droits des justiciables et les principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité indissociables de l’exercice des fonctions juridictionnelles.
III. Discussion
- Le fondement juridique de la QPC
La formation de jugement ordinaire de la Cour nationale du droit d'asile est la section. Chaque section comprend un président (magistrat honoraire ou en activité de l'ordre administratif, judiciaire ou encore issu de la Cour des comptes, ou depuis le 1er septembre 2009 d'un magistrat affecté à plein temps), et deux assesseurs, qui sont des personnalités dites qualifiées. Le président de section peut être le président ou un vice-président de la Cour. La composition des sections est déterminée pour chaque audience. L'un des assesseurs (dit « assesseur HCR », assis à la gauche du président et à la droite du rapporteur) est nommé par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés. L'autre assesseur (dit communément « assesseur OFPRA », assis à la droite du président et à la gauche du secrétaire) est une personnalité nommée par le vice-président du Conseil d'État sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de l'OFPRA (il était antérieurement à la réforme de 2007 un représentant du conseil de l'OFPRA). La réforme de 2007 n’a été en réalité qu’un changement de nature sémantique dans la mesure où les assesseurs « Administration » sont toujours issus du conseil de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou à tout le moins de l’Administration.
En vertu des dispositions de l’article R 722-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, le Conseil d’Administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides est composé notamment :
- D’une personnalité nommée par décret du Premier ministre pour une durée de 3 ans ;
- De deux parlementaires désignés l'un par l'Assemblée nationale et l'autre par le Sénat ;
- D’un représentant de la France au Parlement européen, désigné par décret;
- Du secrétaire général du ministère chargé de l'asile;
- Du directeur de la modernisation et de l'action territoriale au ministère de l'intérieur;
- Du secrétaire général du ministère des affaires étrangères;
- Du directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice ;
- Du directeur du budget au ministère chargé du budget;
- Du chef de service de l'asile au ministère chargé de l'asile;
- D’un représentant du personnel de l'Office élu avec un mandat de 3 ans.
Il est constant que les personnalités nommées sur proposition du Ministre de l’Intérieur ou des Affaires Etrangères sont des fonctionnaires appartenant à un des corps ou branches de l’Etat.
Or, la Cour nationale du droit d'asile est une juridiction chargée dans le cadre du plein contentieux d’exercer un contrôle sur une décision rendue par l’Administration, en l’occurrence l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
La présence d’un fonctionnaire (ou d’une personnalité) nommé par le pouvoir l’Exécutif au sein d’une instance juridictionnelle viole le principe de la séparation des pouvoirs.
Permettre à l’Exécutif ou l’Administration de choisir son juge dans un procès dans lequel il est partie est une atteinte non seulement au principe de la séparation des pouvoirs mais également ses corollaires, les principes d’indépendance de la Justice et de l’impartialité de celle-ci et de ses magistrats.
- La norme de référence : article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
a. La Jurisprudence du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a estimé que la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d'asile, était une « juridiction administrative » (Décision n° 98-399 DC du 05 mai 1998, cons. 16).
Le Conseil constitutionnel a, depuis fort longtemps, jugé que le principe d’indépendance de la Justice est « indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires » ou « juridictionnelles ». Il a rattaché le principe d’indépendance des juges non professionnels à l’article 16 de la Déclaration de 1789. Le Conseil a, en effet, conjugué cet article avec l’ensemble des exigences qui garantissent le droit à une procédure juste et équitable (garantie des droits et séparation des pouvoirs, droit à un recours effectif, droits de la défense, droit à procès équitable, impartialité et indépendance des juridictions). De sorte que le grief formé sur ce fondement n’est guère éloigné du grief qui serait formé sur le fondement de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que la composition des tribunaux maritimes commerciaux (TMC) ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 16 de la Déclaration des 1789 : « parmi les cinq membres du tribunal maritime commercial, deux d’entre eux, voire trois si le prévenu n’est pas un marin, ont la qualité soit d’officier de la marine nationale soit de fonctionnaire ou d’agent contractuel de l’État, tous placés en position d’activité de service et, donc, soumis à l’autorité hiérarchique du Gouvernement ; que, dès lors, même si la disposition contestée fait obstacle à ce que l’administrateur des affaires maritimes désigné pour faire partie du tribunal ait participé aux poursuites ou à l’instruction de l’affaire en cause, ni cet article ni aucune autre disposition législative applicable à cette juridiction n’institue les garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance. » (Décision n° 2010-10 QPC du 2 juillet 2010, Consorts C. et autres, cons. 4).
Dans une Décision n° 2010−110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean−Pierre B, le Conseil Constitutionnel affirme sans ambiguïté ce qui suit :
« 4. Considérant que les commissions départementales d'aide sociale sont des juridictions administratives du premier degré, compétentes pour examiner les recours formés, en matière d'aide sociale, contre les décisions du président du conseil général ou du préfet ; que les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 134−6 du code de l'action sociale et des familles prévoient que siègent dans cette juridiction trois conseillers généraux élus par le conseil général et trois fonctionnaires de l'État en activité ou à la retraite, désignés par le représentant de l'État dans le département ;
5. Considérant, d'une part, que ni l'article L. 134−6 ni aucune autre disposition législative applicable à la commission départementale d'aide sociale n'institue les garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance des fonctionnaires siégeant dans cette juridiction ; que ne sont pas davantage instituées les garanties d'impartialité faisant obstacle à ce que des fonctionnaires puissent siéger lorsque cette juridiction connaît de questions relevant des services à l'activité desquels ils ont participé ;
6. Considérant, d'autre part, que méconnaît également le principe d'impartialité la participation de membres de l'assemblée délibérante du département lorsque ce dernier est partie à l'instance ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 134−6 du code de l'action sociale et des familles sont contraires à la Constitution ; que, par voie de conséquence, la dernière phrase du premier alinéa doit également être déclarée contraire à la Constitution ; »
En vertu de la jurisprudence précitée, la présence au sein des formations de jugement de la Cour nationale du droit d'asile des personnalités (en l’occurrence des fonctionnaires) nommées par le Ministre de tutelle de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides alors que la Cour nationale est amenée à se prononcer contre des décisions rendues par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides constitue une violation certaine de l’article 16 de la Déclaration de 1789.
De surcroît, l’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France ne met en œuvre aucune garantie appropriée permettant de satisfaire au principe d’indépendance des personnalités-fonctionnaires siégeant au sein de la Cour nationale du droit d'asile.
b. La Jurisprudence de la Cour de cassation
La Cour de cassation, dont la jurisprudence dispose d’une autorité morale en matière constitutionnelle, a également sanctionné la présence des fonctionnaires au sein des juridictions.
Dans deux arrêts du 22 décembre 20007 (Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2000, n° 99-11303 et 99-11615), la Cour de cassation a jugé que la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, dans sa composition d’alors, ne présentait pas les garanties d’une juridiction indépendante et impartiale. La Cour a affirmé que la présence, parmi les membres, d’un fonctionnaire honoraire d’administration centrale « et le fait que la juridiction comprend des fonctionnaires de catégorie A, en activité ou honoraires, du ministère chargé de la Sécurité sociale ou du ministère chargé de l’Agriculture, nommés sans limitation de durée de sorte qu’il peut être mis fin à tout moment et sans condition à leurs fonctions par les autorités de nomination qui comprennent le ministre, exerçant ou ayant exercé, lorsqu’ils étaient en activité, le pouvoir hiérarchique sur eux, constituaient des circonstances de nature à porter atteinte à l’indépendance de la Cour nationale et à faire naître un doute légitime sur son impartialité » et méconnaissaient les exigences du droit à un tribunal indépendant et impartial au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette décision faisait suite à d’autres décisions par lesquelles la Cour de cassation avaient estimé contraires à la Convention européenne des droits de l'homme « la présidence du tribunal du contentieux de l’incapacité par le directeur régional des Affaires sanitaires et sociales ou son représentant, fonctionnaire soumis à une autorité hiérarchique, et ayant, du fait de ses fonctions administratives, des liens avec les organismes de sécurité sociale, parties au litige » ainsi que « la désignation par cette autorité du médecin expert appartenant à ce tribunal et sa voix prépondérante en cas de partage » (Cour de cassation, chambre sociale, 9 mars 2000, n° 98-22435).
c. La Jurisprudence du Conseil d’Etat
Le Conseil d’État a estimé que « la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d’asile, qui est une juridiction administrative, doit observer toutes les règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ou n’est pas incompatible avec son organisation » (Conseil d’État : 10 décembre 2008, ISLAM, n° 284159).
Le Conseil d’Etat a toujours été stricte sur la question de l’indépendance d’une autorité de nature juridictionnelle.
La jurisprudence du Conseil d’État a été posée, dans son principe, par les arrêts du 6 décembre 2002, Trognon et Aïn Lhout (Conseil d’État, 6 décembre 2002, Trognon, n° 240028 et Conseil d’État, section, 6 décembre 2002, Aïn Lhout, n° 221319).
Le Conseil d’État a estimé « qu’en vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger toute personne appelée à siéger dans une juridiction doit se prononcer en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ; que, dès lors, la présence de fonctionnaires de l’État parmi les membres d’une juridiction ayant à connaître de litiges auxquels celui-ci peut être partie ne peut, par elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de celle-ci ».
Dans sa décision du 30 janvier 2008, le Conseil d’État a étendu cette jurisprudence aux élus d’une assemblée délibérante en jugeant que l’impartialité est également en cause « lorsque des membres de l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale qui est partie à l’instance siègent dans l’une des formations de jugement » de la cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (Conseil d’État, section, 30 janvier 2008, Association orientation et rééducation des enfants et adolescents de la Gironde, n° 274556).
- Les conditions de la transmission la question
Tout justiciable peut soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, “qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit”, en application de l’article 61-1 de la Constitution.
Les conditions dans lesquelles une telle Question Prioritaire de Constitutionnalité peut ainsi être posée au juge ont été organisées par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution qui a modifié l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et par le décret n° 148 du 16 février 2010. Les dispositions du décret concernant les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat sont codifiées aux articles R. 771-3 et suivants du Code de justice administrative.
Les dispositions législatives contestées sont applicables à l’instance en cours devant Votre Cour et dans laquelle le demandeur à la Question Prioritaire de Constitutionnalité est requérant. L’Administration, via l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, y est partie adverse ou contradicteur.
La question de la conformité de l’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France n’a jamais été examinée par le Conseil constitutionnel.
A supposer même que le Conseil Constitutionnel ait eu à connaître de l'une ou l'autre des dispositions attaquées, la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel du 25 mars 2011 constitue un changement fondamental de droit en l’espèce.
La question posée soulève un point de droit constitutionnel sérieux ainsi qu’il a été démontré supra.
La question posée est d’autant plus déterminante que les décisions du Conseil Constitutionnel s’imposent à toutes les autorités politiques, administratives et juridictionnelles sans exception.
Par ces Motifs
Il est demandé à la Cour nationale du droit d'asile de :
- CONSTATER que Monsieur M N conteste la conformité de l’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France à la Constitution ;
- EN CONSÉQUENCE, TRANSMETTRE au Conseil d’Etat la Question Prioritaire de Constitutionnalité suivante :
« L’article L 732-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et, plus précisément, à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ? ».
Avec toutes conséquences de droit
Paris, le 26 avril 2011
PJ
- Mémoire distinct au Conseil constitutionnel