Les pénalistes ont toujours appelé de leur vœu une réforme de la procédure pénale, mais force est de constater qu’ils n’ont pas su démontrer leur capacité à adopter une position commune sur le projet de réforme initié par le gouvernement. Le projet est insuffisant sur bien des points et nécessite un profond remaniement. Certes, il comporte, du moins en apparence, des avancées significatives, notamment en ce qui concerne l’intervention et le rôle de l’avocat en garde à vue, l’affermissement du principe du contradictoire au cours de la phase de jugement ou bien encore la suppression du juge d’instruction. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la procédure pénale française même observée sous le prisme de la réforme, reste loin des exigences posées par les organes de justice européens et plus généralement des normes européennnes des grands pays tiers.
Une réflexion différente doit s’engager sur la refonte du processus judiciaire. Il est impératif que ce nouveau chantier législatif comprenne, dans une perspective d’harmonisation européenne, un certain nombre d’axes essentiels de réforme en vue d’atteindre un standard acceptable pour une administration de la justice rénovée. A ce titre, le régime de la garde à vue doit changer fondamentalement. Il apparaît tout aussi nécessaire que les audiences et auditions soient retranscrites intégralement. Nous appelons à la création d’un corpus du droit de la preuve en matière pénale. Enfin, le parquet doit retrouver sur la scène judiciaire la place qui est la sienne eu égard à sa fonction d’accusateur et à sa culture statutaire de hiérarchisation vis-à-vis du pouvoir executif.
La garde à vue telle qu’elle est pratiquée en France, reste une pratique bien moyenâgeuse. Déjà dans une circulaire du 11 mars 2003 Nicolas Sarkozy lui-même écrivait : « Trop souvent encore, les conditions matérielles dans lesquelles les personnes gardées à vue sont retenues ne sont pas dignes d’une démocratie moderne ». L’accroissement des pouvoirs conférés à l’avocat n’entraîne aucun effet mécanique sur l’humanisation des conditions de la détention. Le Code de procédure pénale et les circulaires d’application ont su faire preuve d’un grand mutisme sur les conditions matérielles de vie en garde à vue. Cependant il convient de dresser l’état des lieux du délabrement des cellules de garde à vue mal entretenues envahies d’odeurs nauséabondes parce que non ventilées auxquelles s’ajoute l’absence de chauffage. Le gardé à vue est par conséquent amené à passer la nuit dans de telles conditions, sans couvertures ou s’il en dispose elles ont été trop utilisées pour remplir les conditions d’hygiène élémentaire. Il doit se résoudre à dormir à même le sol ou sur un banc alors que la température extérieure peut être inférieure à zéro. Il doit apprendre à négocier avec le policier l’accès aux toilettes, le droit à une cigarette s’il est fumeur. Pire encore, rien n’est prévu dans le Code sur la possibilité pour le gardé à vue, dont la durée peut atteindre comme chacun sait 96 heures dans certains cas, sur la possibilité de se laver. Tout ce régime s’apparente à une forme subtile de torture ou de pression qui n’a pour objectif que de faire céder le gardé à vue afin qu’il passe aux aveux. Ce même constat vaut pour les dépôts (ou souricières), zone d’attente où sont stationnés les mis en cause après une garde à vue avant leur audition par un magistrat. Il est de ce fait plus qu’urgent de changer drastiquement les conditions matérielles de privation de liberté du gardé à vue d’autant que cette période est reconnue de l’avis des gardés à vue comme étant une des plus difficiles dans la phase de privation de liberté.
L’actuelle réforme ne peut prétendre progresser vers un droit moderne digne des standards européens sans avoir prévu la mise en œuvre d’un ensemble de mesures visant à améliorer ostensiblement les conditions matérielles de vie du gardé à vue.
Par ailleurs, la procédure pénale française comporte une autre lacune fondamentale et peu connue de certains pénalistes : l’absence d’établissement des déclarations verbatim du mis en cause. A tous les stades de la procédure, les déclarations du mis en cause sont retranscrites (c’est-à-dire reformulées) soit par le policier rédacteur du procès-verbal soit sous la dictée du magistrat instructeur par le greffier. A la phase de jugement, le greffier n’établit que des notes d’audiences, en réalité un résumé rapide de la position des uns et des autres. Or, pour l’équité et la loyauté d’un procès, toute déclaration doit être verbalisée intégralement. Selon la pratique actuelle, le policier ou le juge d’instruction entame préalablement une discussion avec le mis en cause et ensuite décide de la rédaction du procès verbal. Ils reformulent, à supposer objectivement, du moins librement les déclarations de l’intéressé dont certaines subtilités ou nuances ont pu être évacué de l’écrit. Cette méthode est bien contestable. Ainsi les questions pièges du policier ne sont pas notées. Le policier peut aisément, lorsqu’il procède à la notification des droits, dissuader oralement le gardé à vue de demander l’intervention d’un avocat faisant ainsi valoir la simplicité et la rapidité de la procédure. Au cours de la phase du jugement, il est tout aussi important qu’une transcription intégrale des déclarations de tous les acteurs du procès soit établie. Les simples notes d’audience ne permettent pas véritablement au juge d’appel ou de cassation d’exercer son contrôle. Nous avons tous en mémoire le dérapage verbal du juge dans l’affaire Omar Raddad mais ceci n’a pas été verbalisé. A titre de comparaison, en Angleterre et dans les pays de Common Law, les déclarations sont établies par un sténographe officiel pour être retranscrites intégralement et exactement (comme cela se fait au sein des assemblées parlementaires) dans un document intitulé « trial transcript ». Lorsqu’une transcription intégrale existe, tout dérapage verbal d’un juge ou des parties laisse des traces et peut être sanctionné. Une procédure pénale moderne et de qualité doit être aussi traçable que possible car il y va du respect de la liberté individuelle. Les procédés techniques actuels permettent aisément l’enregistrement de toute forme de procédure.
Ce besoin de qualité comporte une autre exigence. Un système pénal progressiste ne peut faire l’économie d’un véritable droit de la preuve encadrant la fonction de juger, sauf à se renier. Le droit français a toujours laissé la voie à la discrétion, voir à l’arbitraire, dans le cheminement d’une décision de culpabilité. Le Code de procédure pénale prévoit que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve, le juge décide d’après son intime conviction ». Or, l’intime conviction est tout le contraire d’un raisonnement légal construit tendant vers la déclaration de culpabilité. Elle ressemble plus au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. Comment peut-on demander à des juges professionnels de juger à la manière de l’homme de la rue ? L’intime conviction fait place à des décisions purement subjectives et non objectives. Elle n’est pas réellement conciliable avec le principe selon lequel le doute profite à l’accusé, doute qui se trouve de la sorte amputé de toute sa substance.
A l’inverse, dans le système accusatoire de Common Law, le juge est guidé voir même encadré par un droit de la preuve. Le mode de preuve n’est pas libre mais bien légal. Certains mode de preuve sont bannis, en particulier le ouï-dire (hearsay evidence). Le ouï-dire est essentiellement des déclarations faites par un éventuel témoin en dehors du cadre judiciaire et qui est rapporté par un autre. De même, les conséquences qu’un juge peut tirer des éléments de preuves indirects (circumstantial evidence) sont bien encadrées. Aussi, les questions tendancieuses (leading questions), c’est-à-dire des questions comportant déjà un élément de réponse, sont interdites lors d’un interrogatoire. Le juge est amené à faire une construction légale de la culpabilité. Il doit établir la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable (beyond reasonable doubt). Plus objectif, la décision de justice est moins variable d’un juge à l’autre, phénomène récurrent en France.
Enfin, le rôle et la place du parquet doivent être rationalisés. Dans le système actuel que l’on peut qualifier de confus et paradoxal, le parquet bénéficie du statut de magistrat, terme finalement ambigu pour celui qui représente tant la société que l’accusation. Le parquet, dans le procès pénal, doit voir son rôle réduit à celui d’accusation. Il doit se situer au même niveau que les autres intervenants au procès, les conseils des parties. Il ne doit plus faire partie intégrante de la composition du tribunal comme c’est le cas actuellement et entrer et sortir avec le tribunal. Comme le juge européen l’a souvent rappelé, il ne suffit pas que justice soit rendue, mais encore faut-il qu’elle soit apparente (Justice must not only be done, but must also be seen to be done), en reprenant un principe fondamental du droit anglais. Présentement, le justiciable peut avoir le sentiment d’une grande collusion entre le parquet et les juges. Dans ce même ordre de réflexion, il y a lieu de séparer définitivement et effectivement le corps des juges (du siège) de ceux du parquet pour une raison non pas seulement d’indépendance mais essentiellement d’impartialité. Un parquetier reste marqué psychologiquement et culturellement par une attitude accusatoire et ne peut assumer les fonctions d’un juge impartial.
Dans l’esprit de la réflexion qui précède, la problématique de suppression ou non du juge d’instruction se trouve transcendée. Son maintien ou non ne changera en rien la manière de rendre justice tant que les changements fondamentaux évoqués n’auront été appréciés. L’affaire Outreau a pu connaître les dérives que l’on sait malgré le nombre et la qualité des intervenants ayant agi parce que tous ont opéré dans le cadre d’un système que l’actuelle réforme ne propose pas de modifier. Le juge d’instruction seul n’est pas responsable de cette affaire. Conférer les pouvoirs du juge d’instruction au parquet sous le contrôle in fine d’un juge-arbitre n’aura pas d’influence sur la qualité de notre justice pénale. Le juge d’instruction peut être maintenu, mais il doit être davantage encadré dans l’exercice de ses fonctions. L’on peut imaginer un système dans lequel le juge d’instruction est chargé uniquement de l’enquête dans les affaires complexes et graves et qu’au terme de son instruction, le parquet entame une phase accusatoire et totalement contradictoire devant un juge-arbitre, le tout dans les termes rappelés. Une telle conciliation serait sage et donnerait à la procédure pénale française un nouveau souffle…
Jean-Marc MARINELLI Parvèz DOOKHY
Avocat Docteur en Droit en Sorbonne