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Une instance actuellement pendante devant une juridiction de l'ordre judiciaire mérite d'ores et déjà de faire l'objet d'un commentaire, sans préjudice bien entendu de l'appréciation souveraine des tribunaux.
Les faits sont simples :
« La propriétaire des lieux, Madame Y a signé le 20 novembre 2020 un acte notarié contenant bail commercial avec la SAS C
Madame Y est décédée le 21 mars 2023, laissant pour seule successible, Madame N, sa sœur, qui n'avait bien évidemment aucune connaissance de la gestion de cet immeuble.
Le bien immobilier étant le seul actif de la succession, celui-ci a été mis en vente, et c'est très curieusement à l'occasion de cette démarche que le locataire commercial la SAS L a cru devoir assigner devant le Tribunal Judiciaire de …, suivant acte en date du 20 février 2024, Madame N, en sa qualité de successible, outre une agence immobilière et les vendeurs du fonds de commerce »
À titre liminaire, il sera fait observer que le terme « curieusement » employé par l'avocat de la défenderesse, successible de la bailleresse du bail commercial, dans une relation des faits qui se devrait d'être objective et impartiale, doit amener le demandeur à l'instance à compléter sa propre relation des faits de manière à faire apparaître clairement que ce qui est véritablement « curieux » , c'est plutôt la réitération de renvois des mises en cause de l'un à l'autre par chacun des défendeurs et leur comportement dilatoire commun.
Enfin, les défendeurs se plaignent d'un excès de considérations juridiques : il leur sera donc infligé des précisions en droit, ce qui amène à distinguer le problème de la facturation de TVA (I) aux conséquences fiscales du non apurement des provisions qui ne présente qu'un caractère contractuel(II)
I. Facturation de la TVA
Les écritures de la bailleresse défendeur à l'instance font valoir que :
« Il est totalement faux de prétendre que la SAS L n'a jamais reçu depuis son entrée dans les lieux en novembre 2020 la moindre quittance de loyer. En effet, le Cabinet Z précise avoir été mandaté par Madame N, suite au décès de sa sœur, à l'effet de gérer la location de l'immeuble et ainsi délivrer depuis mars 2023 les quittances de loyer au responsable de la SAS L …Il convient de préciser qu’en aucun cas, le locataire ne justifie avoir sollicité avant mars 2023 les quittances de loyer. »
C'est bien volontiers que le locataire donnera acte qu’à partir de 2023 des factures - hélas incomplètes comme il le sera démontré - ont été émises, mais la succession contre laquelle a été engagée l'action n'a pas émis de facture pour la période antérieure.
Dès lors, deux hypothèses doivent être traitées : celle de non-établissement de facture acquittée ou quittance (A) et celle plus subtile d'établissement de factures ne mentionnant pas le numéro fiscal du bailleur(B)
A. Défaut d'émission de facture quittance : période antérieure à mars 2023
Les écritures de la bailleresse défendeur à l'instance prétendent que :
« …Il convient de préciser qu’en aucun cas, le locataire ne justifie avoir sollicité avant mars 2023 les quittances de loyer. »
Il est savoureux que la réponse elle-même à cette imputation réside dans la pièce fournie par la plaidante elle-même :
le directeur général du restaurant locataire répond : « Réponse : j'ai prévenu Maître…, mon interlocuteur privilégié de l'étude de Maître… , de bien vouloir demander les quittances de loyer à Madame L, en date du 17 Décembre 2020, soit seulement 47 jours après mon entrée dans le local. »
D'autres griefs sont plus ou moins fondés :
« Preuve en est les demandes faites au titre des quittances locatives.
Sur ce point, le demandeur se garde bien de communiquer le moindre bilan où figure les loyers, d’où l’absence de préjudice »
Dont acte, il convient que l'avocat de la SAS verse à ses écritures les 2 extraits de bilans que lui a établi en son temps son client.
Sous le bénéfice des observations qui précèdent, il convient de traiter le fondement de la demande de production des factures antérieures à mars 2023 (1) d'une part, et de chiffrer ladite demande tout en s'en remettant à toute offre de médiation judiciaire pour sa forme (2)
1. fondement de la demande
Sur cette période visée ci-dessus comme d'ailleurs sur la suivante, le locataire aurait pu comptabiliser ces mensualités de loyer au seul vu de l'acte notarié de bail si celui-ci n'avait comporté une réserve essentielle risquant d'engager la responsabilité fiscale de celui qui en prendrait la responsabilité :
TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE : Le bailleur déclare, en vertu des dispositions de l'article 260 2° du Code général des impôts, vouloir assujettir le bail à la taxe sur la valeur ajoutée qui sera à la charge du preneur en sus du loyer ci-dessus fixé, et acquittée entre les mains du bailleur en même temps que chaque règlement, ce que le preneur accepte en tant que de besoin. Il reconnaît avoir été averti par le notaire soussigné de l'obligation de souscrire auprès du service des impôts compétent, la déclaration prévue à l'article 286 alinéas 1 et 2 du Code général des impôts. L'option à la taxe sur la valeur ajoutée prend effet le premier jour du mois au cours duquel elle est formulée au service des impôts. L'assujettissement du bail à la taxe sur la valeur ajoutée dispense du paiement de la contribution sur les revenus locatifs.
Dans l'acte authentique, le bailleur reconnaît avoir été averti par le notaire de l'obligation de souscrire auprès du service des impôts compétent la déclaration prévue par l'article 286 du code général des impôts , le respect de cette formalité se concrétisant par un numéro TVA également appelé, entre professionnels, Intracom :
« Bonjour à tous
Ai-je bien compris ? Un notaire et un agent immobilier n'ont pas à vérifier le numéro Intracom de la cliente pour qui ils ont émis successivement des factures
si l'un d'entre vous a ce numéro Intracom merci de me l'indiquer pour éviter de perdre notre temps ; si aucun ne l'a, il ne m'appartient pas de savoir qui de l'avocat conseil de la propriétaire ou bien des 2 professionnels susvisés est débiteur envers sa cliente de la précaution »
Dans un mail circulaire adressé au notaire, à l'agent immobilier et à la propriétaire mandante de ce dernier, l'associé minoritaire demandait une dernière fois : « si l'un d'entre vous a ce numéro Intracom, merci de me l'indiquer pour éviter de perdre notre temps » !
2. Demande avec offre de médiation
Plusieurs alternatives peuvent être proposées par le locataire, à l'entière convenance de la bailleresse :
- Communiquer le numéro d'identification fiscale pour la TVA avant la date de la prescription fiscale de chaque mensualité car les redevables de la TVA qui auraient omis de faire valoir certains de leurs droits à déduction sur leurs déclarations de 2022 peuvent, sans avoir à présenter de réclamation, réparer cette omission jusqu’au 31 décembre 2024 (CGI ann. II art. 208) TVA : tour d'horizon rapide des actions à mener d'ici la fin de l'année < Taxe sur la Valeur Ajoutée < Fiscal - Éditions Francis Lefebvre ;
- A défaut, rembourser la TVA indûment perçue sur les loyers par la bailleresse – « en sus du loyer »-, non déduite par le locataire et figurant toujours sur un compte d'attente de la classe 4, sous réserve de la liquidation de la taxe dite contribution sur les revenus locatifs de 2,5%.
B. Pour la période ultérieure à mars 2023, omission de la mention obligatoire du numéro fiscal :
1. Une obligation légale : le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée du prestataire
Un professionnel du barreau ou de toute autre profession ne saurait ignorer l'article 242 nonies A de l'annexe 2 de code général des impôts auquel il convient de se référer :
article 242 nonies A de l'annexe 2 CGI
Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes :
1° Le nom complet et l'adresse de l'assujetti et de son client :
…
4° Le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée du prestataire ainsi que celui fourni par le preneur pour les prestations pour lesquelles le preneur est redevable de la taxe ;
...
11° Le montant de la taxe à payer et, par taux d'imposition, le total hors taxe et la taxe correspondante mentionnés distinctement ;
...
Le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée du prestataire, le bailleur en l'espèce, est obligatoire !
Les conséquences fiscales en sont extrêmement lourdes.
2. Prévenir de lourdes conséquences en cas de négligence de vérification
Si le locataire doit faire preuve d’une prudence extrême dans l'exigence puis le contrôle formel de factures à régler, c'est en vertu des paragraphes 4 et surtout 4 bis de l'article 283 du code général des impôts ; les mandataires professionnels du bailleur engagent lourdement leur responsabilité civile professionnelle envers leurs clients dans le cas où ils n'auront pas vérifié que celui-ci a bien un numéro d’identification fiscale à la TVA eu égard au paragraphe 3 de l'article 283 du code général des impôts qui dispose :
283CGI
. ..
3. Toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation.
4. Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée.
…
4 bis L'assujetti en faveur duquel a été effectuée une livraison de biens ou une prestation de services et qui savait ou ne pouvait ignorer que tout ou partie de la taxe sur la valeur ajoutée due sur cette livraison ou sur toute livraison antérieure des mêmes biens, ou sur cette prestation ou toute prestation antérieure des mêmes services, ne serait pas reversée de manière frauduleuse est solidairement tenu, avec la personne redevable, d'acquitter cette taxe.
C'est la raison pour laquelle le locataire doit faire preuve de la plus extrême vigilance : « mention expresse » sur les déclarations de TVA et demande au tribunal de réserver les dommages en cas de rejet de ces déclarations par le Fisc.
C'est la raison également pour laquelle l'avocat de la propriétaire, à l'instar de celui du locataire, aura tout intérêt à opérer la confrontation des quittances établies par le mandataire n'indiquant qu'un montant TTC à sa cliente mandante et des factures émises HT à l'intention du locataire commerçant.
S'agissant du Trésor public tant national que communautaire, cet édifiant exemple traduit tous les risques d' « évaporation » que fait encourir un système dans lequel des entreprises ou des particuliers sont percepteurs de deniers publics !
3. Bref rappel pédagogique à l'usage professionnel du droit
Sont inappropriées des conclusions présentées en justice par un professionnel du droit censé ne pas ignorer le droit fiscal qui confondent impôt sur les sociétés calculé à partir du résultat, solde des comptes de charges de la classe 6 et ceux de recettes de la classe 7et taxe sur la valeur ajoutée comptabilisée classe 4 car la TVA versée en amont est intégralement déductible de la TVA facturée, c'est-à-dire collectée et à reverser :
Il ne peut pas non plus se prévaloir d'un quelconque préjudice puisque comptablement les loyers sont déduits du chiffre d'affaires et constituent une charge qui figure dans le bilan de la SAS LA MALETTE, dressé par l’Expert-Comptable.
En d'autres termes, il ne faut pas confondre règles de détermination de l'impôt sur les sociétés et règles spécifiques de la TVA où chaque intermédiaire « collecte et reverse» :
Chaque intermédiaire (industriel, commerçant, etc.) collecte sur son client la taxe prévue par la loi et la reverse au service des impôts dont il dépend, déduction faite de celle qu’il a payée en amont à son propre fournisseur. De ce fait, la TVA s’applique à la « valeur ajoutée », c’est-à-dire la plus-value apportée au produit ou au service à chaque stade de la production ou de la commercialisation, de telle sorte qu’à la fin du circuit économique qui met les biens ou les services à la disposition du consommateur final, quelle que soit la longueur du cycle, la charge fiscale globale correspond à la taxe calculée sur le prix de vente final au consommateur brochure_de_la_fiscalite_francaise_2023.pdf
II. Apurement des provisions
Le grief formulé au titre des charges locatives devra être discuté en droit pour savoir à qui incombe la reddition de comptes :
« Sur le trop-perçu au titre des charges locatives :
Là encore, la SAS L tente de faire feu de tout bois pour fonder son assignation.
Elle ne prouve en rien un quelconque préjudice puisqu'elle ne fait qu'avancer une succession de chiffres et de sommes et procède par affirmations sans apporter aucun justificatif »
Il s'agit d'une obligation contractuelle du bailleur (A) et il en découlera naturellement la question de savoir à qui en incombe légalement le calcul (B)
A. Une obligation contractuelle
Il s'agit aux termes mêmes du bail notarié d'un versement mensuel, à titre provisionnel, et avec une régularisation annuelle du propriétaire :
Les charges et taxes du présent paragraphe 20), si le bailleur le demande, feront l'objet d'un versement mensuel, à titre provisionnel : le preneur versera chaque mois en sus du loyer une provision HORS TAXES d'un montant de …..EUROS (…..00 €) soit un montant TTC de ……EUROS (…,00 €)
L'ensemble de ces taxes et charges fera l'objet d'une régularisation annuelle, le bailleur s'engageant à produire à cette occasion toutes pièces justificatives.
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Par ailleurs, le bailleur est tenu de communiquer au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés celui-ci.
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B. À qui incombe le calcul
Le locataire a strictement respecté son obligation contractuelle : versements mensuels à titre provisionnel. Le propriétaire et son mandataire seraient bien inspirés de respecter leur propre obligation qui est double : une régularisation annuelle et la production des justificatifs demandés.
En droit, l’article R. 145-36 du Code de Commerce invoqué par le locataire dans son assignation dispose à titre général :
« L'état récapitulatif annuel mentionné au premier alinéa de l'article L. 145-40-2, qui inclut la liquidation et la régularisation des comptes de charges, est communiqué au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de laquelle il est établi ou, pour les immeubles en copropriété, dans le délai de trois mois à compter de la reddition des charges de copropriété sur l'exercice annuel. Le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci. »
III. Conclusion :
Une accusation proférée contre le locataire demandeur prend tout son sens :
« A l'évidence, la SAS L intente la présente instance afin de voir diminuer substantiellement le prix de vente des murs du bar-restaurant.
Afin de répondre définitivement à cette crainte exprimée par la propriétaire bailleresse, il suffit que l'action actuelle dirigée contre 3 défendeurs devienne in solidum, avec engagement d’exécuter le jugement en priorité sur l'agent immobilier fautif ; il peut même lui être offert de racheter sa créance éventuelle d'action récursoire en responsabilité contre les professionnels de la gestion et du Droit qui l'ont conseillée !
Pierre CARLI
Docteur d’Etat en Droit (hdr)
Diplômé de l’École Nationale des Douanes
Maître de Conférences honoraire