Incarnant une nouvelle génération de citoyens engagés, les lanceurs d’alerte ont pris conscience du mal fait à l’intérêt général. Tous sont sortis du silence au travail pour des pratiques qu’ils estimaient dangereuses. Tous sont désintéressés et prêts à bouleverser leur vie pour défendre les libertés, l’environnement ou la santé.
Force est en effet de constater que c’est la justice qui leur donne raison a posteriori, et non encore un régime de protection clair et suffisant a priori. A ce titre, beaucoup renoncent encore à se lancer. Par où commencer ? A qui s’adresser ? Quelles garanties peut-on exiger ? Et comment les demander ? En somme, comment être pionnier sans devenir cobaye ?
La Loi Sapin II, entrée en vigueur au 1er janvier 2018, est venue, pour la première fois, tenter de répondre à ces questions, sans pour autant apporter la garantie essentielle constituée par « une aide financière ou un secours financier », censurée par le Conseil constitutionnel, et pourtant seule susceptible de palier les premiers mois des révélations à la perte d’un emploi que l’on ne retrouve en général jamais.
Dans ce blocage très français, voici donc qu’intervient, comme pour remédier à cette carence, la moins connue Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) prise en son Service des investigations élargies (SIE), autrement dit, sans les acronymes, rien de moins que les services secrets fiscaux.
Une loi entrée en vigueur l’an dernier autorise une indemnisation des informateurs fiscaux. Passé inaperçu, son décret d’application vient permettre à l’administration fiscale, à titre expérimental, pour deux ans, d’indemniser les personnes qui lui communiquent des informations conduisant à la découverte d’une fraude. Par cette « correction de tir » il y a d’abord l’expression d’une totale contradiction constituant à déclarer inconstitutionnelle la « rémunération » des lanceurs d’alerte au titre de la Loi Sapin II, mais conforme « l’indemnisation » des informateurs fiscaux au titre d’un autre dispositif législatif.
Discrétionnaire. Il y a ensuite la preuve implicite du malaise créé par cette contradiction puisque l’« indemnisation » des informateurs fiscaux n’apparaît pas clairement dans la loi, qui renvoie à son décret d’application, lui-même renvoyant à un arrêt ministériel évasif. En d’autres termes, en l’absence de dispositions précises, l’indemnisation est discrétionnaire, et donc vide cette loi expérimentale de toute efficacité.
Devant l’évidence de ces éléments, l’on ne peut que constater l’absence de réaction parlementaire et le silence du gouvernement dans une conjoncture favorable, en ces temps d’impératifs budgétaires, où la capacité à recouvrer rapidement le manque à gagner révélé par les lanceurs d’alerte ne peut plus être négligée.
Pour ce faire, le ministère du Budget a les moyens de rédiger rapidement un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation objectifs pour les aviseurs fiscaux, seul dispositif à même d’inclure une sécurité financière claire et transparente. Il suffit en effet de quelques lignes définissant les critères d’indemnisation chiffrés en pourcentage à concurrence des sommes recouvrées, ou à tout le moins définir un accompagnement financier permettant d’apporter son soutien les premiers mois des révélations.
Ces deux mesures graduées viendraient dans l’ordre des choses appuyer le projet de directive sur les lanceurs d’alerte qui sera adopté à l’automne 2018. Un tournant à ne pas rater : l’Europe a déjà mis dix ans depuis l’affaire Falciani pour s’intéresser à la question.
Pierre Farge est avocat à la Cour.