« Vous serez confinés jusqu’au 11 Mai 2020 au moins… ».
À l’annonce du prolongement du confinement, prévisible mais pas pour autant admissible pour certains, de nombreux confinés s’interrogent aujourd’hui non plus sur le sort de leur état mental face aux périodes interminables de confinement, mais sur des questions plus pragmatiques.
Ces questions deviennent préoccupantes du fait d’un retour « à la réalité », ou presque, seulement au 11 Mai 2020, « au moins »…
Depuis la loi n°2020-290 du 23 Mars 2020 pour faire face à l’épidémie de COVID-19, l’état d’urgence sanitaire est déclaré sur le territoire national, jusqu’au 24 Mai 2020.
L’article 11 de la loi du 23 Mars 2020 autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi, destinées à atténuer les graves dommages notamment administratifs, juridictionnels, économiques, financiers et sociaux provoqués par le confinement. Ces mesures prises par le Gouvernement sont permises avant le 24 juin 2020.
25 ordonnances ont été adoptées en Conseil des ministres en date du 25 Mars 2020.
Retour sur les mesures adoptées en ce qui concerne le droit immobilier : paiement des loyers, prolongement de la trêve hivernale, résiliation du contrat de bail, sort des déménagements, transactions immobilières, baux saisonniers…. Nombreuses sont les questions qui concernent les particuliers et leur logement (I).
Par ailleurs, d’autres mesures règlent les questions relatives aux difficultés actuelles de gestion des copropriétés (II), ou encore celles relatives au paiement des loyers et factures des entreprises (III).
Particuliers, copropriétés, entreprises : il est grand temps de tout savoir sur l’état du droit immobilier face à la crise sanitaire subie en France !
Une « période protégée » a été arrêtée par les ordonnances du 25 Mars 2020 et concerne particulièrement les mesures qui suivent.
Elle s’étend du 12 mars 2020 au mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
À l’heure actuelle, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour deux mois à compter du 24 Mars, soit jusqu’au 24 Mai 2020. La période protégée concerne donc, pour l’instant, celle du 12 Mars au 24 Juin 2020.
À vos calendriers, tout est question de dates… et de connaissance de vos droits !
I. Pour les particuliers
A) Les difficultés liées au paiement des loyers
C’est indéniable : les particuliers peuvent rencontrer, durant cette crise sanitaire et économique sans précédent, des difficultés pour payer leur loyer.
L’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 Mars 2020 prévoit certaines interdictions du bailleur, en cas de difficultés et retards de paiement de loyer rencontrées par le locataire au cours de la période de confinement.
L’ordonnance prévoit la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, et l’adaptation des procédures.
En effet, le bailleur ne pourra pas se prévaloir de la résolution du bail en raison de l’inexécution du locataire lorsque cette dernière intervient durant la période protégée, soit du 12 Mars au 24 Juin 2020.
Le bailleur ne pourra pas non plus se prévaloir d’intérêts ou de pénalités éventuelles de retard durant cette période.
Les astreintes et clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, qui auraient dû produire leurs effets durant la période protégée sont donc réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet.
Il peut s’agir ici de clauses résolutoires à l’encontre du locataire défaillant ou encore de clauses pénales.
Elles ne pourront produire effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de la période protégée, dans le cas où le débiteur n’aurait pas exécuté son obligation avant.
Le paiement des loyers devra donc intervenir au plus tard dans le mois suivant la fin de la période protégée. À ce jour, les particuliers ont donc jusqu’au 24 Juillet 2020.
Pour les pénalités ayant produit leurs effets avant le 12 Mars 2020, elles restent suspendues pendant la période de confinement.
Mais qu’en est-il des inexécutions contractuelles antérieures au 12 Mars 2020 ayant déjà fait l’objet de décisions d’expulsion locative ?
B) Le prolongement de la trêve hivernale
L’ordonnance n°2020-331 du 25 Mars 2020 a prolongé la période de trêve hivernale.
En effet, l’article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit un sursis à toute mesure d’expulsion locative du 1er Novembre au 31 Mars.
Pour l’année 2020, cette période s’étendra jusqu’au 31 Mai 2020.
Les particuliers dont l’expulsion pouvait avoir lieu après le 31 Mars 2020 ne pourront pas être expulsés de leur logement jusqu’au 31 Mai 2020.
C) La résiliation du contrat de bail
Les délais imposés avant la résiliation définitive d’un contrat de bail divergent en fonction de la personne qui souhaite résilier le contrat. Il faut distinguer le congé donné par le bailleur et celui donné par le locataire.
- Le congé donné par le bailleur
Par principe, d’après l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, le bailleur dispose d’un délai de 6 mois précédant le terme du bail pour donner congé à son locataire. Le locataire dispose ainsi de six mois pour organiser son départ.
La combinaison des articles 2 et 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 Mars 2020 permet au bailleur de disposer d’un délai supplémentaire pour résilier le bail lorsque le congé devait intervenir au cours de la période protégée.
En effet, tout acte qui aurait dû être accompli pendant la période protégée sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Le bailleur qui souhaite résilier un bail dont la résiliation doit intervenir avant le 24 Juin 2020, soit durant la période protégée, pourra bénéficier d’une prorogation de délai de deux mois à compter de la fin de cette période.
La résiliation du bail d’habitation par le propriétaire pourra donc intervenir jusqu’au 24 Août 2020.
- Le congé donné par le locataire
Par principe, le locataire dispose quant à lui d’un délai de préavis de 3 ou 1 mois pour notifier sa volonté de résilier le contrat de bail, d’après l’article 15 de la loi du 6 Juillet 1989. Cette durée varie en fonction de la situation géographique de l’immeuble objet du contrat de bail.
Cette durée imposée par la loi ne bénéficie d’aucune prorogation en période de crise sanitaire.
Le locataire souhaitant quitter le lieu lui ayant servi de cocon de confinement sera libre de le faire après avoir déposé son préavis !
Mais alors, qu’en est-il du droit au déménagement…?
D) Le sort des déménagements
Seuls les déménagements « relevant d'urgences sanitaires, sociales ou de péril » restent autorisés, d’après les propos du Gouvernement en date du 1er Avril 2020.
Dans le cas des déménagements autorisés, il est impératif de respecter les gestes barrières.
Il vous faudra vous munir d’une attestation sur l’honneur précisant que vous déménagez, la date et le trajet que vous allez effectuer.
Il vous faudra alors trouver plusieurs arrangements avec le propriétaire, comme un état des lieux en vidéoconférence et la prise de photographies.
Un état des lieux en présentiel pourra être effectué à la sortie du confinement, à condition que personne n’ait occupé le logement entre temps.
Dans le cas où le locataire ne peut pas quitter les lieux, il devra rapidement en informer le bailleur.
Si le locataire ne déménage pas et reste dans le logement loué après la résiliation du bail, il devra demander au propriétaire le prolongement de sa jouissance du logement. Une convention d’occupation précaire devra contractualiser l’accord temporaire d’occupation des lieux jusqu’à la fin du confinement. Si cette convention n’est pas envisageable, un échange de mails pourra toujours servir de preuve en cas de conflit ultérieur.
Le locataire devra impérativement continuer à payer les loyers le temps de l’occupation du logement.
E) L’achat d’un logement
L’achat d’un logement nécessite l’intervention d’un notaire. Dès les mesures de confinement prononcées, nombreux sont les rendez-vous notariés qui se sont vus annulés, reportés à une date…ultérieure…
Le décret n°2020-395 du 3 Avril 2020 autorise désormais la signature électronique à distance des actes notariés et en particulier des contrats de vente. Les parties à l’acte de vente assistent au rendez-vous avec le notaire grâce à un système vidéo. La réception des formulaires se fait en ligne et en direct.
Cette possibilité est offerte jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
À l’heure actuelle, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour deux mois à compter du 24 Mars, soit jusqu’au 24 Mai 2020.
La possibilité de conclure un contrat de vente immobilière à distance est donc offerte jusqu’au 24 Juin 2020.
F) Les baux saisonniers
Nombreux sont les particuliers locataires qui projetaient de louer un bien immobilier.
De nombreuses difficultés naissent des réservations, qu’elles concernent la période de confinement, mais aussi les réservations pour l’été 2020, postérieurement au 11 Mai 2020…
Si les voyageurs ont déjà dû s’adapter aux annulations diverses de leurs voyages (sur ce point, voir « Tourisme et Covid-19 : quelles conséquences juridiques à la résolution des contrats de voyages touristiques ? », par Kimberley Romanello, 15 Avril 2020, Legavox), il leur faut aussi songer à l’annulation de leur contrat de bail.
-
Lorsque le contrat de bail concernait la période de confinement
Le locataire ne pouvant se déplacer sur le lieu du bien immobilier loué en raison des mesures de confinement en vigueur depuis un décret du 16 Mars 2020, il pourra faire jouer la force majeure pour obtenir le remboursement des sommes éventuellement déjà versées.
En effet, la force majeure en matière contractuelle est définie à l’article 1218 du Code civil : « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Il semble que l'événement doit être extérieur, imprévisible au moment de la formation du contrat et irrésistible.
- Caractère extérieur : l’épidémie du Covid-19 est apparue soudainement et relève de l’urgence, considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « une urgence sanitaire de portée internationale ». L’épidémie semble donc être un évènement échappant au contrôle du débiteur, c’est-à-dire extérieur au débiteur.
- Caractère imprévisible : la maladie étant nouvelle chez l’Homme et aucun vaccin n’existant à ce jour, le caractère imprévisible de l'événement ne semble pas pouvoir être ignoré.
Le contrat de bail ayant été conclu avant l’apparition de l’épidémie, c’est-à-dire au moins avant l’annonce du Gouvernement concernant l’ampleur de celle-ci, l’épidémie pourra être considérée comme un évènement imprévisible au moment de la formation du contrat
- Caractère irrésistible : les effets de l’épidémie ne doivent pas avoir pu être évités par le débiteur par le biais de mesures appropriées.
Le contrat de bail ayant été conclu avant le 16 Mars 2020, date du décret instaurant un confinement national, le locataire ne peut plus aujourd’hui se déplacer en raison des mesures de confinement prononcées.
-
Lorsque le contrat de bail prend effet après la période de confinement
Pour l’instant, aucun texte spécifique n’a encore réglé la question.
Il faut donc en déduire que ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent.
Si le locataire souhaite annuler sa location à venir, tout dépendra de la nature des sommes déjà versées :
- Si le locataire a versé des arrhes : il perdra les arrhes mais n’aura pas l’obligation de verser le solde du montant de la location, d’après l’article 1590 du code civil.
- Si le locataire a versé un acompte : il perdra son acompte mais sera également tenu de verser le solde du montant de la location.
Sauf stipulation contraire, pour tout contrat de bail conclu entre un professionnel et un consommateur, les sommes versées d’avance sont des arrhes.
II. Pour les copropriétés
Les copropriétés sont concernées par les mesures de confinement et peuvent rencontrer des difficultés de gestion. En effet, les assemblées générales de copropriétaires permettent la gestion régulière de celle-ci.
Aujourd’hui, comment gérer l’impossibilité de tenir des assemblées générales en présentiel ?
- Concernant la possibilité de mettre en place des assemblées générales à distance
Le décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 avait déjà mis en place la possibilité de participer aux assemblées générales de copropriétaires à distance.
Cependant, pour cela, l’assemblée générale doit avoir déjà voté cette possibilité.
- Concernant la possibilité de renouveler de plein droit le contrat de syndic
L’ordonnance n°2020-304 du 25 Mars 2020 est relative à l’adaptation des règles applicables aux contrats de syndic de copropriété.
D’après la loi n°65-557 du 10 Juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le contrat de syndic n’est pas susceptible de renouvellement par tacite reconduction.
Désormais, l’ordonnance, dans son article 22, permet le renouvellement de plein droit du contrat de syndic arrivé à terme entre le 12 Mars 2020 et jusqu’à la fin de la période protégée, soit le 24 Juin, lorsqu’aucun syndic n’avait encore été désigné.
La prochaine assemblée générale devra avoir lieu dès la sortie de l’état d’urgence sanitaire et au plus tard six mois après la date de cessation de l’urgence sanitaire, à savoir au plus tard le 24 Novembre 2020.
III. Pour les entreprises
L’ordonnance n°2020-316 du 25 Mars 2020 est relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19.
Elle met en place une suspension du paiement des charges pour les entreprises en difficultés.
En effet, concernant les paiements dont l’échéance intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence, sera reporté ou étalé le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux.
Il est renoncé aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures.
Cela concerne les micro-entrepreneurs, les TPE et les indépendants dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros.
Pour en bénéficier, les entreprises et indépendants devront avoir perdu 70% de leur chiffre d’affaires entre Mars 2019 et Mars 2020 ou encore avoir fermé pour des raisons sanitaires.
Conclusion
Vous l’aurez compris, les mesures annoncées en matière immobilière, certes favorables pour les particuliers, entreprises et copropriétés, sont encore pleines d’incertitudes dans leur réalisation, et plus encore sur la date à laquelle elles ne seront plus applicables.
À moins que quelqu’un ne puisse déjà nous donner la date du “mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire” ? Moi(s) pas...
Les juristes Qiiro se tiennent à votre disposition pour toutes précisions, pour vous accompagner sur toutes les questions de droit.
Sources :
Loi n°2020-290 du 23 Mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19.
Ordonnance n°2020-306 du 25 Mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Ordonnance n°2020-331 du 25 Mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale.
Article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution.
Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
Décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l'acte notarié à distance pendant la période d'urgence sanitaire.
Article « Tourisme et Covid-19 : quelles conséquences juridiques à la résolution des contrats de voyages touristiques ? », par Kimberley Romanello, 15 Avril 2020, Legavox.
Article 1218 du Code civil.
Article 1590 du Code civil.
Décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 portant diverses mesures relatives au fonctionnement des copropriétés et à l'accès des huissiers de justice aux parties communes d'immeubles.
Ordonnance n°2020-304 du 25 Mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.
Loi n°65-557 du 10 Juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
Ordonnance n°2020-316 du 25 Mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19.