Dans un projet de loi de 81 pages, dont 60 sont consacrées à la matière très politique de la justice pénale, qui va et vient, stigmate d’une enième réforme rendant finalement illisible et inefficace le système, hors les pénalistes, (et qui suscite l’ire officielle du Conseil National des Barreaux qui appelle à la grève prochainement), le Ministère de la Justice réserve tout de même quelques dispositions à la justice civile, pourtant au cœur du quotidien de la majeure partie des justiciables et acteurs économiques.
Au-delà de cette disproportion, qui, d’elle-même, fait déjà craindre quelques incompréhensions entre l’administration et les justiciables, qu’il me soit permis de penser que nous assistons à une inversion de sens, comme seules les Ecoles Nationales, et leurs sujets, manifestement déconnectés de la réalité, savent en produire.
Car j’ai une conviction : pour se comprendre bien, il faut aussi se parler.
Comme l’ont écrit Eric BIDAUD et Hakima MEGHERBI, l’écrit est, par essence monologique : il permet de formaliser, d’ordonner, de préparer un débat, de laisser une trace, mais il ne reflète le plus souvent, et de manière imparfaite, que la pensée de son auteur. Car le mot, et c’est sa limite, restranscrit mal la complexité, la sensibilité, d’une pensée et d’une situation.
Le langage oral, au contraire, est généralement inscrit dans un espace d’interactions avant tout social : le lieu, le temps, l’intention de communiquer, la place et les intentions des interlocuteurs.
Pour bien comprendre un dossier, il faut évidemment ordonner son contenu, le justifier par des pièces, puis l’étudier.
Mais il est tout aussi indispensable de confronter ce qu’on a compris de ce dossier et ce ne peut être qu’en échangeant oralement. Le propre de la médiation, et son succès, est précisément de permettre aux médiants de formuler et de reformuler leurs ressentis, autant qu’il sera necessaire, pour faire émerger leurs besoins. Condition indispensable de la mise en place d’une solution pérenne.
Ces techniques mettent en évidence que l’oralité est l’une des clés de la compréhension de l’autre, de ses besoins et de ses enjeux.
Dire que les plaidoiries, telles qu’elles se déroulent aujourd’ hui n’ont guère d’intérêt, est une évidence. Le dossier n’est en général, pas connu par le Tribunal et les avocats exposent leurs arguments les uns après les autres, sans avoir le droit de se contredire, et sans interaction entre eux et le Tribunal. Il n’est pas rare, pour ne pas dire plus, de quitter une salle d’audience sans savoir ce qu’a reçu et compris un magistrat du dossier, puisqu‘il ne se sera pas exprimé sur son contenu.
Et il n’y a pas de pire injustice que de n’avoir pas été entendu et compris.
Il faut évidemment réformer l’instance civile. Il faut évidement raccourcir des délais de jugement scandaleux en première instance.
Mais supprimer l’audience, signe d’une justice à bout de souffle et d’idées, pour soigner des statistiques et accélerer le traitement des dossiers, est une aberration sur un plan pratique et humain.
Car c’est tout le contraire qu’il faut faire à mon sens.
Plutôt que permettre aux parties d’échanger des conclusions écrites pendant des mois voire des années, une audience « préliminaire » devrait être très rapidemment convoquée et organisée par un juge, qui aurait étudié les premiers échanges d’écritures et de pièces. Cette pré-audience, permettrait aux avocats et au magistrat d’échanger sur les vrais enjeux du dossier, tout en s’assurant (et même en se ré-assurant) qu’ils sont bien identifiés par tout le monde.
Le Tribunal laissera alors aux avocats un délai déterminé et relativement bref pour adapter éventuellement leur argumentaire puis le dossier serait jugé dans le cadre d’une audience interactive, se déroulant plus sous la forme d’un échange avec le Juge, que d’une succession de monologues que plus personnes ne veut entendre aujourd’hui.
Car la justice du XXIe siècle, ce doit être le pragmatisme.