commentaire de l'arrêt Sarran
L'arrêt Sarran constitue sans doute " l'un des arrêts les plus importants de l'histoire de la Ve République en matière de hiérarchie des normes "( D.Alland)
C'est l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie qui est à l'origine de cette décision. Passé entre le gouvernement et les principaux acteurs politiques néo-calédoniens, l'accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 détermine le cadre institutionnel très spécifique dans lequel évoluera la Nouvelle-Calédonie .
Cet accord a confié au " pays " le soin d'exercer des compétences encore jamais confiées à un territoire de la République : compétence législative, lorsque certaines délibérations du Congrès du Territoire auront le caractère de " loi de pays " et ne pourront de ce fait être contrôlées que devant le Conseil constitutionnel, avant leur promulgation; mais également compétence gouvernementale, lorsque l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie deviendra un " Gouvernement collégial élu par le Congrès et responsable devant lui ". L'accord a en outre prévu la reconnaissance d'une citoyenneté propre de la Nouvelle-Calédonie justifiant l'exercice d'un corps électoral restreint, tant pour le scrutin d'autodétermination que pour les élections locales.
L'accord dérogeait aux principes de l'indivisibilité de la République qu'à l'article 3 de la Constitution , une loi constitutionnelle à été nécessaire .
il a été objet de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, qui a rétabli dans la Constitution un titre XIII intitulé " Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie "
L'article 76 nouveau a quant à lui énoncé que : " Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988.
Messieurs Sarran , Levacher et autres attaquaient un décret qui fixait la composition du corps électoral en Nouvelle Calédonie. Ce décret précise que le corps électoral est figé en 1988. Mr Sarran soutient que ce décret est contraire aux engagements internationaux de la France en particulier au Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
Le Conseil d’Etat constate que le décret attaqué n’a fait qu’appliquer l’article 76 de la Constitution en vertu duquel seront admis à participer au scrutin d’autodétermination, les personnes qui remplissent les conditions prévues par la loi du 30 novembre 1988.
Si le Conseil d’Etat avait accepté de considérer que le décret attaqué, était contraire aux engagements internationaux de la France, il aurait jugé que l’article 76 était contraire à ces engagements internationaux de la France. Le Conseil d’Etat a refusé de s’engager dans cette voie. Il affirme que la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux de la France ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle.
Cet arrêt proclame Affirmation de la primauté de la Constitution dans la hiérarchie des normes, contrôle exercé par le juge administratif pour faire respecter cette hiérarchie, et des précisions données à plusieurs dispositions de la Constitution.
I/ Primauté de la constitution dans l'ordre interne :
L'arrêt d'Assemblée du Conseil D'Etat du 30 octobre 1998 , concerne explicitement le problème de la place respective de la Constitution et des conventions internationales dans la hiérarchie des normes .
A/ La conception du conseil d'Etat de la hiérarchie des normes
L'arrêt Sarran affirme la primauté de la Constitution sur les traités internationaux alors que la CJCE, dans la jurisprudence Costa, affirme que le droit communautaire prime sur les droits internes à chaque pays de l'UE.
Le décret du 20 aout 1998 , portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle Calédonie , en application de l'article 76 de la constitution , avait été déféré au conseil d'Etat par des personnes résidant dans ce territoire d'outre mer .
Ce décret à travers ces articles 3 et 8 , reproduisait le contenu des conditions fixées par l'article 76 de la Constitution ( introduit par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 ) S'agissant de la limitation du corps électoral .
Cette nouvelle disposition constitutionnelle réservait en effet le droit de participer à la consultation populaire envisagée en Nouvelle calédonie aux populations résidant sur ce territoire depuis le 6 novembre 1988.
De ce point de vue invoquer nottament comme moyen de la requête que le décret était incompatible avec certaines stipulations du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la CEDH , c'était mettre en cause la conventionnalité de la Constitution . Le Conseil d'Etat devait donc se prononcer sur la question du rapport hiérarchique entre la constitution , et ces stipulations conventionnelles .
"La suprématie conférée aux engagements internationaux (par l'art. 55 de la Constitution) ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ". Par cette énonciation , l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État a jugé que la hiérarchie des normes juridiques qui découle en France des articles 54 et 55 de la Constitution fait de la Constitution la norme suprême et des normes internationales des normes subordonnées. La reconnaissance de la supériorité de la norme constitutionnelle ressortait certes déjà de l'arrêt Koné du 3 juillet 1996 , mais n'avait pas été formulée en des termes aussi explicites.
B/ la justification de la solution:
L'article 55 de la Constitution n'accorde aux " traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés… une autorité supérieure " que par rapport " aux lois ". Par ailleurs l'article 54 de la Constitution établit une hiérarchie favorable à la Constitution puisqu'il prévoit qu'un traité contraire à la Constitution ne peut être ratifié : ce n'est pas la Constitution qui est contrainte de s'adapter au traité à travers une révision, mais le traité qui ne peut être ratifié. Le dernier mot appartient au pouvoir constituant. S'il refuse d'intervenir pour modifier la Constitution afin de permettre la ratification du traité, celui-ci restera, au moins pour la France, lettre morte.
D'une part, à partir du moment où la Constitution a imposé une certaine hiérarchie des normes, le Conseil d'État, qui ne tire son existence et sa légitimité que de la Constitution elle-même, ne pouvait que se conformer à cet ordre : la primauté interne ne peut être assurée que selon les solutions constitutionnelles nationales .
Le conseil d'Etat dès lors qu'il assure par son attitude la primauté de la Constitution sur le traité peut par la même contribuer à c que la responsabilité internationale se trouve le moment venu engagée . Lorsque la Cour européenne des droits de l'homme à eu à se prononcer , elle n'a relevé aucune violation par la France de ses obligations internationales .
II/ Précisions quant à plusieurs dispositions de la Constitution :
A/ Sur le moyen des articles 60 et 76 de la constitution .
Les requérants critiquaient le fait que le Conseil Constitutionnel n'ait pas été consulté préalablement à l'intervention du décret attaqué alors que l'article 60 de la constitution le charge de veiller à la régularité des opérations de référendum .
Or la consultation des populations de Nouvelle Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution le charge de veiller à la régularité des opérations de référendum . Et les consultations de l'article 76 prévue par la constitution devraient être assimilables au référendum .
Les référendums nationaux prévus par l'article 60 vise uniquement les référendums par lesquels le peuple français exerce sa " souveraineté " , dans les cas prévus en matière législative par l'article 11 , soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89 .
Selon les requérants , l'article 76 n'aurait pas permis à déroger à des dispositions aussi essentielles que celles de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclament l'égalité devant la loi , ou celles de l'article 3 de la Constitution relatives à l'égalité de suffrage .
Le conseil d'Etat précise que l'article 76 de la Constitution a entendu déroger aux autres normes de valeur constitutionnelle relatives au droit de suffrage . La loi de révision constitutionnelle a ainsi la même valeur juridique que la Constitution .
En ce qui concerne les dispositions de la loi du 9 novembre 1988 , mentionnées par l'article 76 , on peut considérer qu'elles n'ont pas valeur constitutionelle . Ce n'est pas écarté cependant le fait que la loi constitutionelle du 20 juillet 1998 ait conféré valeur constitutionelle aux dispositions de la loi du 9 novembre 1988 , ne peut être retenu comme moyen .
B/ Le conseil d'etat n'est pas juge de la conformité du traité à la Constitution .
Par l'arrêt Sarran le Conseil D'Etat a jugé qu'il ne pouvait écarter l'application de la loi constitutionnelle en s'appuyant sur les engagements internationaux souscrits par la France , mais cela ne signifie pas qu'à l'avenir il n'assurera la primauté d'un traité sur la loi qu'après la vérification de la conformité de ce traité à la Constitution .
Non seulement l'arrêt Sarran ne dit mot de l'autorité à laquelle incombe ce contrôle, mais de plus le Conseil d'État n'y a pas procédé à la confrontation entre un traité et la Constitution. De fait, l'arrêt n'a pas fait prévaloir une disposition constitutionnelle sur une norme internationale au motif que celle-ci serait incompatible avec celle-là : il s'est borné à constater que dans le cas d'espèce, la Constitution formait un écran entre l'acte administratif et les traités internationaux invoqués
L'arrêt Sarran n'ouvre pas la voie à un contrôle de la constitutionnalité des traités par les juges ordinaires. Le constituant a lui-même organisé un tel contrôle. Il appartient au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle sur la constitutionnalité des traités avant leur insertion dans l'ordre juridique interne et des lois avant leur promulgation, en application des articles 54 et 61 de la Constitution.
Pour conclure , si le Conseil d’Etat avait accepté de considérer que le décret attaqué, était contraire aux engagements internationaux de la France, il aurait jugé que l’article 76 était contraire à ces engagements internationaux de la France. Le Conseil d’Etat a refusé de s’engager dans cette voie. Il affirme que la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux de la France ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle.
Le Conseil d’Etat adopte la même position quand il s’agit d’un acte communautaire. Ça ne signifie pas que le Conseil d’Etat acceptera de vérifier qu’un traité est conforme ou non à la Constitution