Le 20 août 1974, Anne Tonglet et Aracelli Castellano, deux jeunes touristes belges qui passent la nuit dans les calanques de Marseille, sont violées pendant plusieurs heures par trois hommes. Cette histoire, portée à l’écran par Alain Tasma dans le film Le Viol, va marquer l’opinion publique, mettant en lumière le chemin de croix imposé aux victimes de viol lorsqu’elles tentent d’obtenir justice.
Gisèle Halimi et le procès d’Aix-en-Provence en 1978
Quatre ans plus tard, en 1978, s’ouvre le procès des trois agresseurs devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence. À l’époque, le Code pénal ne prévoit aucune définition du crime de viol. Les trois hommes sont défendus par Gilbert Collard. En face, il a fallu toute la détermination du couple de jeunes femmes et de leurs avocates, parmi lesquelles l’emblématique Gisèle Halimi, pour que l’affaire soit jugée comme un crime et éviter ainsi une correctionnalisation judiciaire alors quasi systématique [1]. Les auteurs, dont un seul sera condamné pour viol, écoperont de 4 à 6 années de prison.
Avec la loi du 23 décembre 1980, l'inscription d'une première définition du viol
C’est seulement avec la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 [2], issue d’une proposition de la sénatrice Brigitte Gros, que le législateur français finit par inscrire dans notre droit une définition du viol. L’article 332 du Code pénal, en son premier alinéa, dispose dorénavant que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise, constitue un viol ».
Au début des années 1990, deux changements seront apportés par la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes.
D’une part, le crime de viol, désormais codifié à l’article 222-23 du nouveau Code pénal, voit sa répression aggravée, celle-ci passant de 10 à 15 années de réclusion criminelle [3].
En outre, la loi vient ajouter que le viol peut également être caractérisé lorsque l’acte de pénétration sexuelle est perpétré en usant de menace [4].
Le viol entre époux et la loi du 4 avril 2006
Avec la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 [5], le Parlement s’attaque cette fois-ci au fléau sociétal que constituent les violences au sein du couple. À ce moment-là, le viol entre époux est certes déjà sanctionné par les juridictions pénales, mais l’objectif du législateur est que « certaines interdictions » soient « mieux mises en évidence [...] afin de renforcer leur effet dissuasif » [6].
L’entrée en vigueur de la loi du 4 avril 2006 permet l’introduction de deux dispositions d’importance au sein du Code pénal. D’abord, l’article 222-22 précise désormais que le viol et les autres agressions sexuelles peuvent être constitués « quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage ».Ce faisant, le législateur entérine la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle reconnaissait déjà que le viol n’excluait pas « les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage » [7]. Surtout, et là réside la véritable évolution, le législateur décide d’ériger les liens du mariage, tout comme d’ailleurs le concubinage ou le PACS, en circonstance aggravante du crime de viol. Désormais, lorsque l’agresseur et sa victime sont unis par de tels liens, le viol est puni non plus de 15 mais de 20 années de réclusion criminelle [8]. Avec la loi de 2006, l’interdit du viol au sein du couple est ainsi réaffirmé en même temps que sa répression est aggravée.
Avec la loi Schiappa de 2018, l'élargissement du viol aux actes commis "sur la personne de l'auteur"
L’année 2018 va marquer un tournant dans cet enchaînement de réformes. Jusque-là le législateur avait adjoint au viol certaines circonstances aggravantes et en avait alourdi la répression. Mais la définition du viol, elle, était restée quasiment intacte depuis 1980. En votant la loi n° 2018-703 du 3 août 2018, dite loi Schiappa, le Parlement va rompre avec ce conservatisme juridique et s’engager dans un élargissement progressif du champ matériel du viol.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Schiappa, le crime de viol n’est ainsi plus limité à l’acte de pénétration sexuelle « sur la personne d’autrui » mais s’étend aussi à celui « sur la personne de l’auteur » [9]. Qu’est-ce à dire ? Que depuis le 6 août 2018, date d’entrée en vigueur de cette loi, le viol peut également être caractérisé lorsqu’une personne pratique, de force, une fellation sur un homme.
De même, le viol est désormais constitué dès lors qu’une femme impose à un homme une relation sexuelle avec pénétration pénienne. Jusqu’alors ces deux situations échappaient à toute qualification criminelle et ne pouvaient être poursuivies que sur le fondement délictuel de l’agression sexuelle autre que le viol [10].
#BalanceTonBar et la prise en compte du phénomène de soumission chimique
Deuxième avancée notable, notre droit pénal s’attaque enfin au viol par soumission chimique. La loi Schiappa crée ainsi l’article 222-30-1 du Code pénal, lequel érige en délit puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende [11] l’utilisation de substances psychotropes dans le but de commettre un viol ou une agression sexuelle. Lorsque l’auteur parvient à ses fins, l’utilisation de drogue devient une circonstance aggravante, portant la peine encourue à 20 ans de réclusion criminelle [12]. L’objectif du législateur était évidemment de lutter contre l’utilisation du GHB [13], communément désigné comme la drogue du violeur, ainsi que contre les autres sédatifs, hypnotiques ou dépresseurs utilisés pour abuser sexuellement d’une victime. Le sujet reste toutefois d’actualité, comme en témoignent les mouvements #BalanceTonBar et #MeTooGHB ayant récemment émergé sur les réseaux sociaux, visant à mettre un terme aux violences sexuelles permises par l’administration subreptice, au sein des bars et des discothèques, de substances psychotropes.
L’instauration d’un « Statutory rape » en droit français
La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, participe encore de l’élargissement du champ matériel de l’infraction mais marque cette fois-ci un changement d’approche et une évolution historique.
Cette disposition, entrée en vigueur le 23 avril 2021, fait des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de 15 ans un viol [14]. Une seule condition, parfois qualifiée de « clause Roméo et Juliette » : que la différence d’âge entre l’auteur et la victime soit d’au moins cinq ans. Dès lors que cette différence d’âge est vérifiée, le viol entre un adulte et un mineur de 15 ans est caractérisé, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’absence de consentement de la victime. Avec cette loi, le législateur érige en principe l’incapacité des mineurs de 15 ans à consentir à un acte sexuel avec un adulte, créant ainsi un équivalent du « statutory rape » en droit français. Jusqu’alors, rappelons que la Cour de cassation exigeait systématiquement « l’absence totale de consentement de la victime » pour caractériser le viol [15].
#JusticePourJulie
Cette révolution juridique et sociétale intervient notamment dans le sillage de l’affaire Julie, médiatisée en 2019, au cours de laquelle plusieurs pompiers de Paris avaient été accusés de viols sur une adolescente, âgée de seulement 13 ans à l’époque des faits. Initialement poursuivis pour viols aggravés, les faits avaient finalement été requalifiés en atteintes sexuelles sur mineur, faute de pouvoir caractériser l’absence de consentement de la jeune fille [16]. Cette requalification avait permis aux sapeurs-pompiers d’échapper à une qualification criminelle, provoquant alors l’indignation d’une partie de l’opinion, de nombreuses personnes relayant le hashtag #JusticePourJulie sur les réseaux sociaux.
L'élargissement du viol aux actes bucco-génitaux
Outre l’instauration d’un seuil de non-consentement sexuel, la loi du 21 avril 2021 vient également apporter une seconde évolution majeure au crime de viol. Rappelons que, jusqu’alors, le viol supposait en toute hypothèse la démonstration d’un acte de pénétration sexuelle. Dans un arrêt remarqué du 14 octobre 2020, la chambre criminelle, qui devait se prononcer sur la qualification pénale à adopter dans le cas d’un cunnilingus, avait ainsi approuvé la décision d’une chambre de l’instruction, laquelle avait écarté la qualification de viol au motif que la langue du mis en examen n’avait pas dépassé « l’orée du vagin » [17].
Cette casuistique subtile n’aura dorénavant plus lieu d’être. Tout acte bucco-génital, dès lors qu’il est commis par violence, contrainte, menace ou surprise, peut maintenant servir de fondement à une qualification criminelle de viol [18]. En d’autres termes, tout contact contraint entre la bouche d’une personne et les parties génitales d’une autre pourra dorénavant tomber sous le coup de cette définition élargie.
Taux de condamnation pour viol : moins de 1 % des viols aboutissent à une condamnation pénale
Force est de constater que le viol est aujourd’hui juridiquement pluriel et mouvant, devant de surcroît être appréhendé au regard des règles d’application de la loi pénale dans le temps et de la prescription. Si certaines réformes semblaient nécessaires, reste que le volet judiciaire, lui, continue de faire défaut. Alors qu’on estime à 112 000 le nombre moyen de viols et de tentatives de viol commis chaque année en France [19], on compte annuellement à peine plus de 1 000 condamnations prononcées par la Justice [20]. En 2019, seuls 17 % des victimes de viol ont déposé plainte [21].
[1] Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, Et le viol devint un crime, Vendémiaire, Paris, 2014.
[2] Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.
[3] Art. 222-23, al. 2nd, C. pén.
[4] Art. 222-23, al. 1er, C. pén.
[5] Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
[6] Exposé des motifs de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006.
[7] Cass. crim. 5 sept. 1990, n° 90-83-786 P
[8] Art. 222-24, 11°, C. pén.
[9] Art. 222-23, al. 1er, C. pén.
[10] Cass. crim. 21 oct. 1998, n° 98-83.843 P et Cass. crim. 22 août 2001, n° 01-84.024 P.
[11] Art. 222-30-1, al. 1er, C. pén.
[12] Art. 222-24, 15°, C. pén.
[13] Acide Gamma-Hydroxybutyrique.
[14] Art. 222-23-1, al. 1er, C. pén.
[15] Cass. crim. 20 juin 2001, n° 00-88.258
[16] Cass. crim. 17 mars 2021, n° 20-86.318 P
[17] Crim. 14 octobre 2020, n° 20-83-273
[18] Art. 222-23, al. 1er, C. pén.
[19] Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2019, p. 185.
[20] Chiffres de 2019, émanant du ministère de la Justice
[21] Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2019, p. 185.