L’État du Droit en France : Entre Mutation et Déliquescence Juridique

Publié le 09/03/2025 Vu 131 fois 0
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Essai d’une analyse à la lumière des principes fondateurs et des évolutions contemporaines.

Essai d’une analyse à la lumière des principes fondateurs et des évolutions contemporaines.

L’État du Droit en France : Entre Mutation et Déliquescence Juridique

Le Droit, une Langue en Déshérence ?

Le droit français, historiquement structuré autour de la rigueur textuelle et de la précision des principes, semble aujourd’hui s’effriter sous l’effet d’une jurisprudence fluctuante et d’une approche judiciaire parfois désinvolte vis-à-vis des fondements juridiques.

L’interprétation est une aventure et met en garde contre l’abandon de la rigueur au profit d’une casuistique excessive.

Montesquieu, de son côté, avait posé l’exigence de la séparation des pouvoirs et du rôle du juge comme simple « bouche de la loi ». Pourtant, l’époque contemporaine semble marquée par une dilution de ces principes, un affaiblissement du raisonnement syllogistique et une perte de rigueur dans l’interprétation des textes.

Nous assistons ainsi à un double mouvement : d’un côté, une flexibilité accrue dans l’interprétation des normes, sous couvert d’adaptabilité et de pragmatisme, et de l’autre, une perte d’exigence quant à la définition des concepts juridiques et à la force contraignante des principes fondateurs, notamment en matière contractuelle. Cette évolution est-elle inéluctable ? L’intelligence artificielle, en tant qu’outil de systématisation et d’exactitude, pourrait-elle, paradoxalement, restaurer une rigueur que l’humain semble délaisser ?

I. Une Mutation de l’Interprétation Juridique : De la Rigueur au Flou

1. L’abandon progressif de l’interprétation stricte des textes

Historiquement, l’école de l’exégèse, héritière du Code civil de 1804, imposait une interprétation littérale des textes, la loi étant perçue comme la source principale du droit. Avec l’évolution jurisprudentielle et doctrinale, notamment sous l’impulsion de Carbonnier, une approche plus souple a été adoptée, reconnaissant la part inévitable d’interprétation du juge quant à l’acte juridique et au fait juridique.

Toutefois, cette souplesse, initialement encadrée, semble avoir dérivé vers une forme de subjectivisme juridique où la lettre de la loi n’est plus la contrainte première.

Exemple frappant : l’article 1103 du Code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Pourtant, de nombreuses décisions récentes tendent à réduire la portée de ce principe en s’appuyant davantage sur des considérations d’équité, de bonne foi ou encore de déséquilibre contractuel, reléguant ainsi la force obligatoire des contrats au second plan.

Tant de décisions judiciaires tendent à utiliser le droit comme une fin et non pas comme un moyen de faire respecter la loi.

Je pense notamment à la honte jurisprudentielle et contradictoire au service du profit et au détriment de la rigueur juridique en matière de contentieux photovoltaïque. La Cour de cassation et les cours d’appels divaguent et zigzaguent au gré non pas du droit et des principes de protection des consommateurs mais au gré de l’évolution économique d’un pays et des intérêts de certaines parties.

2. La jurisprudence, nouvelle source du droit ?

Le rôle créateur du juge n’a jamais été aussi manifeste. Là où la tradition juridique française prônait un strict respect du texte législatif, la jurisprudence contemporaine s’impose parfois comme un droit autonome, allant jusqu’à remodeler les principes fondamentaux. L’exemple du revirement de jurisprudence sur la validité des clauses limitatives de responsabilité en matière contractuelle montre bien cette tendance : ce qui était auparavant un principe ferme s’est transformé en une règle évolutive, soumise aux sensibilités judiciaires.

Le Conseil d’État, quant à lui, n’hésite plus à se détacher des textes pour adapter le droit à des réalités sociétales mouvantes. Or, cette démarche, bien que défendable sur un plan politique ou social, interroge quant à la sécurité juridique et à la prévisibilité du droit.

Je pense notamment à l’application stricte du droit des contrats entre un chirurgien-dentiste et le Département de la Sarthe qui a ouvertement violé ses obligations contractuelles sans craindre la moindre sanction. Décision d’appel étant aujourd’hui propulsée devant le Conseil d’Etat mais décision qui n’est pas isolée puisqu’un autre chirurgien-dentiste s’est retrouvé dans le même cas.

La question qui se pose est : qui le juge protège en interprétant le droit ?

II. L’Affaiblissement des Principes Fondateurs : Une Érosion du Droit des Contrats et de la Responsabilité

1. La subjectivisation du droit des contrats : une insécurité croissante

L’un des principes les plus impactés par cette mutation est sans doute celui de la force obligatoire des contrats. La réforme du droit des obligations en 2016 a introduit la notion d’imprévision (art. 1195 C. civ.), permettant au juge de réviser le contrat en cas de changement imprévisible des circonstances. Ce qui, à première vue, pouvait sembler une avancée pragmatique, s’est révélé une brèche dans la stabilité contractuelle : les parties doivent désormais intégrer une incertitude judiciaire dans leurs engagements.

Etait-il nécessaire d’y ajouter autant de précisions alors que le principe de bonne foi dans les suites du contrat devait suffire de tremplin à une interprétation plus juste du droit par le Juge ?

La place grandissante de la « bonne foi » dans l’exécution des contrats (art. 1104 C. civ.) est devenue un instrument d’ingérence judiciaire, permettant d’écarter certaines clauses pourtant négociées. Montesquieu aurait sans doute vu dans cette évolution un renversement dangereux du principe de séparation des pouvoirs : le juge, plutôt que de garantir le respect du contrat, en devient parfois l’arbitre subjectif.

2. La dilution des règles de responsabilité

Le droit de la responsabilité civile n’échappe pas à cette évolution. Là où la responsabilité reposait sur trois éléments fondamentaux (faute, dommage, lien de causalité), une tendance se dessine vers un élargissement des cas de responsabilité objective. Cette dérive, nourrie par une volonté de protection des victimes, engendre paradoxalement une fragilité juridique, où la frontière entre responsabilité et indemnisation automatique devient de plus en plus ténue.

Mais inversement, et je pense à nouveau au contentieux photovoltaïque, la Cour de cassation afin de ne pas être démasquée dans son interprétation subjective et, à mon avis, partial, a utilisé l’argument de l’absence de démonstration de préjudices par les consommateurs victimes pour ne pas condamner les banques fautives au remboursement des mensualités et à la privation de leur créance de restitution. Cela entraînait une incohérence juridique flagrante : d’un côté les contrats pouvaient être annulés sur fond du principe de nullité des contrats mais d’un autre le préjudice ne pouvait être réparé alors que le principe de nullité impose que les parties se trouvent dans la situation dans laquelle elles étaient avant la conclusion de ces contrats litigieux. Et je ne rentre pas dans le détail de la faute reconnue de la banque qui n’est plus privée de sa créance de restitution…

III. Peut-on Rétablir une Exigence Juridique ? L’Apport Possible de l’Intelligence Artificielle

1. L’IA, un outil de rigueur et de systématisation

Face à ces évolutions, l’intelligence artificielle pourrait paradoxalement contribuer à restaurer une certaine rigueur juridique. Capable d’analyser de vastes corpus de jurisprudence et de textes législatifs, elle pourrait servir d’assistant à l’interprétation stricte des normes, limitant ainsi l’arbitraire judiciaire.

Des outils tels que les algorithmes de traitement du langage naturel pourraient être utilisés pour identifier les incohérences jurisprudentielles et favoriser une harmonisation des décisions. En droit des contrats, l’IA pourrait aider à renforcer la prévisibilité en identifiant les tendances jurisprudentielles et en proposant des clauses contractuelles plus adaptées aux évolutions du droit.

2. L’IA, un garde-fou contre l’imprécision judiciaire ?

Si l’on suit l’approche de Carbonnier, qui voyait le droit comme un équilibre entre rigidité et adaptation, l’IA pourrait jouer un rôle d’intermédiaire entre ces deux pôles. En évitant que l’interprétation ne sombre dans un subjectivisme excessif, elle pourrait garantir un retour à une rigueur textuelle tout en intégrant les évolutions du droit.

Cependant, cette approche soulève aussi des questions éthiques et juridiques : l’IA ne doit pas se substituer au raisonnement humain, mais bien l’assister. Montesquieu affirmait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » ; de la même manière, une IA mal encadrée pourrait engendrer une surabondance de règles qui nuirait à la clarté du droit.

 

Quel Avenir pour le Droit Français ?

Le droit français traverse une phase de transformation où la rigueur cède de plus en plus la place à une souplesse parfois excessive. La jurisprudence s’émancipe des textes, les principes fondateurs s’effacent au profit d’une approche plus pragmatique, mais aussi plus incertaine.

Loin d’être une fatalité, cette évolution doit être interrogée : peut-on et doit-on revenir à une exigence juridique plus stricte ? L’intelligence artificielle pourrait-elle jouer un rôle de stabilisateur dans cette dynamique ?

En définitive, la question n’est pas de figer le droit, mais de lui redonner sa cohérence et sa prévisibilité. Un droit qui ne s’adapte pas est un droit qui meurt ; mais un droit qui se contredit est un droit qui s’effondre.

Comme me l’a dit un avocat que je considère comme un des derniers piliers du droit français mais que je garderai anonyme : « Ma vigilance active ne diminue pas en dépit du déclin du droit rongé par l'approximation qui se traduit dans l'inversion des valeurs cardinales.

Je ne renonce donc pas encore à chevaucher dans l'expédition des spadassins du droit qui demeure l'ultime recours de toutes les croyances. »

Paris, le 09 mars 2025

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