Dans l’histoire des peuples, rares sont des documents qui ont joué un rôle prépondérant sur la destinée de ces derniers. On peut citer, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou encore la Constitution des Etats-Unis. Mais ces derniers n’auraient jamais vu le jour sans La déclaration d’indépendance des USA de 1776.
Avant de parler de la déclaration elle-même, de ces qualités littéraires, de ses sources, et de ses influences, il convient de rectifier un lieu commun, celui qui veut que la déclaration date du 4 juillet 1776. En fait, le congrès continental adopta, le 2 juillet 1776, la résolution d’indépendance et celle-ci ne fut signée que le 2 août !
Ayant ainsi fait justice à l’histoire et corrigé ce révisionnisme, abordons le cœur du sujet.
Analysons d’abord l’intitulé : DECLARATION d’indépendance.
Déclarer une chose, c’est la dire publiquement ! la faire entendre au monde ! telle fut l’ambition de Jefferson, le rédacteur du texte…MAIS, et je reviendrai dessus ultérieurement, il faut parler de rédacteur au pluriel !… Cette « déclaration » qui est plus qu’un simple instrument rhétorique est une véritable posture philosophique, posant les bases d’un universalisme qui n’aura cesse d’être repris par les peuples épris de liberté !
Thomas Jefferson lance un appel au monde afin de légitimer les prétentions d’indépendance des 13 colonies. Pour Heidegger, dans son texte sur l’acheminement de la parole, « l’appel rend ce qu’il appelle plus proche… l’appel appelle à venir ». En déclarant publiquement l’indépendance, la justification et la légitimité se confondent et en fait une évidence, mais Jefferson le dit mieux que moi : We hold these Truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.
Le texte lui-même !
Il y aurait tant de choses à dire sur ses sources et ses influences.
A propos de ses sources d’abord, Jefferson pourrait répondre comme répondit l’homme possédé à Jésus : mon nom est légion car nous sommes nombreux !
On pourrait invoquer d’abord le jus naturalis ! Ce natuurrecht si cher aux philosophes des lumières !
On pourrait invoquer ensuite le courant transcendantaliste, avec Thoreau et Emerson, ou bien Rousseau et sa théorie de contrat social.
Mais je n’aime pas INVOQUER ! l’invocation sous-entend l’appel, la prière à des puissances supérieures qui s’auto légitiment : on invoque Dieu ! et qui rappelle une analyse sociocritique à la Lukacs ou Goldmann !
L’invocation, qui est de l’ordre mystique n’est point propre à l’analyse d’un texte, de quelque ordre qu’il soit.
Je ne vais pas pour autant essayer de saisir l’œuvre dans son Dict, dans sa pure présence (cela nous porterait trop loin), mais uniquement montrer, voire démontrer, comment cette déclaration est proprement américaine, non pas au plan social, mais au niveau de son essence même, et pour ce faire, je vais isoler un terme, qui, je crois, se trouve être le nœud gordien de la déclaration ! Je ne suis pas Alexandre, mais je vais tout de même essayer de le trancher !… et ce terme est : Divine Providence !
En quoi ce terme est-il proprement américain ?
Max Weber dans son très original : Die protestantische Ethik und der 'Geist' des Kapitalismus relève la corrélation positive qui existe entre le protestantisme et le capitalisme.
Selon le sociologue allemand, l’essence même du protestantisme repose sur la grâce divine que le Seigneur décide d’accorder ou non à certains individus ! sans entrer dans l’argumentation wébérienne quant au capitalisme américain, il suffit de faire ressortir ici que pour l’auteur, l’éthique protestante est capitale dans la formation de la société américaine et de l’idée que celle-ci s’en fait de sa destinée, car en effet, le socle du protestantisme est la prédestination.
Comment alors le protestantisme apparaît-il dans la déclaration ?
Elle est sous-jacente. Mais dans un texte le non-dit est aussi important que l’explicite, et je m’en vais donc rendre compte du contenu latent du texte, sans pour autant tomber dans le piège d’une analyse lacanienne !
Il convient d’abord de comprendre en quoi le protestantisme représente, au niveau théologique, un schisme avec l’église catholique ! La base de ce schisme est l’interprétation des saintes écritures.
Depuis Luther, chaque individu est un prêtre en puissance, qui interprète lui-même la Bible ; le clergé ne possède plus le monopole de l’interprétation de la volition de Dieu.
Ceci nous renvoi au second traité sur le gouvernement Civil de John Locke.
Ce saut n’est point audacieux. Et voici pourquoi :
Locke écrit son essai afin de répondre à Robert Filmer et son essai Patriarcha, or the Natural Power of Kings, qui légitime, comme le titre l’indique, le pouvoir des monarques, étant donné que ceux-ci sont investis directement par Dieu.
Pour Locke, cette idée est insoutenable et c’est ici que le protestantisme point ! Car avec la réforme, les fidèles peuvent lire par eux-mêmes, et pour eux-mêmes, la volonté de Dieu dans les écritures, et l’interprétation théologique n’est plus le seul apanage des rois ou des prêtres ! Les rois ne sont plus les représentants de Dieu sur terre, l’émanation temporelle d’une puissance spirituelle ! Les rois peuvent désormais être des tyrans, et les tyrans peuvent et doivent être renversés…ainsi parlait Locke !
Car, c’est bien au tyran qu’est assimilé le roi d’Angleterre dans la Déclaration ; Jefferson parle de George III comme un : Tyrant...unfit to be the Ruler of a free People !
Ainsi, la déclaration est d’essence protestante ! Mais, celle-ci, à partir de la déclaration va conduire toute l’histoire des USA jusqu’à aujourd’hui, et peut être résumé dans ce que les américains appellent leur MANIFEST DESTINY ! Dieu aurait donné le nouveau monde aux colons afin que ceux-ci éclairent les autres peuples et conduisent l’histoire du monde. C’est la providence qui le veut, c’est leur destinée manifeste… mais ceci est une autre histoire !
La déclaration n’aurait point eu le succès qu’on lui connaît sans le verbe de Jefferson.
Pour Cicéron, le triomphe d’un discours repose sur 3 critères : DOCERE, DELECTARE, MOVERE ! plaire, instruire, émouvoir… et c’est ce que Jefferson réussit à merveille.
Restons avec le tribun romain, puisque tout le long de la déclaration, on a l’impression d’entendre le début des catilinaires : Quosque tandem abutere patientia nostra ?
Car en effet, les colons ont été patients puisque Prudence indeed, will dictate that Governments long established should not be changed for light and transient Causes!
Ils ont enduré tous les maux supportables. Mais les provocations à répétition du souverain britannique ont eut raison de cette patience ; et Jefferson s’élance alors dans une litanie des griefs faits à George III et qui sont au nombre de 27 ! tels que le soulèvement d’impôts sans leur assentiment, son refus de les soumettre à la loi anglaise, telle qu’un procès devant des jurés, ou encore, le fait de transporter outre atlantique les colons afin qu’ils soient jugés, ou (et je m’arrêterai là) le stationnement d’armées de mercenaires dans les colonies…mais leur repeated Petitions have been answered only by repeated Injury !
En conséquence, et je paraphrase Jefferson, les représentants des Etats-Unis, prenant à témoin le juge suprême du monde de la droiture de leurs intentions déclarent solennellement être en droit des Etats libres et indépendants, et qu’elles sont relevées de toute fidélité à l’égard de la couronne britannique !
Ce faisant, et je reprends la parole à Jefferson, on aborde la structure de la déclaration : le syllogisme !
Si on reprend la logique du philosophe de Stagire, nous obtenons le syllogisme suivant :
- Les vérités que les signataires du document tiennent pour évidentes, telles que l’égalité des hommes et certains droits inaliénables.
- La dénonciation des griefs faits à la couronne britannique.
- La NECESSITE de s’émanciper de l’Angleterre et d’acquérir leur indépendance.
Où (a) est la majeure, (b) la mineure, et (c) la conclusion.
Cette construction logique permet d’asseoir la légitimité d’indépendance, rendant celle-ci évidente et inéluctable !
Je terminerai par les influences de la déclaration ! je ne parlerai pas de ces conséquences sur la révolution et sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisque celles-ci s’inscrivent dans un cadre socio-historique, mais sur la légitimité qu’elle a conféré au principe d’autodétermination, car ce que LaRochefoucauld Liancourt disait à propos de la révolution française vaut pour l’indépendance des Etats-Unis : Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution !
Le désir d’indépendance des colonies est le premier acte à reconnaître le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et qui sera repris dans la résolution 1514 de l’A.G de l’ONU, et se retrouvera dans le processus de décolonisation survenant après la seconde guerre.
Je conclurai en revenant au texte.
Ici, l’adage rhétoricien In Cauda venenum prend tout son sens.
Après avoir donné dans le Logos et le Pathos, Jefferson termine par du concret en martelant le fait, UN FAIT, c-à-d, un état des choses, qui est celui de l’indépendance : Les colonies « sont relevées de toute fidélité à l’égard de la couronne britannique, et que tout lien entre elles et la Grande-Bretagne est et doit être entièrement dissous. »
La déclaration s’achève de manière lyrique en se plaçant sous la protection de la divine providence, et où les colons donnent en gage leurs vies, leurs fortunes, et leur honneur sacré.
La boucle est bouclée ; par un saut téléologique audacieux, Jefferson DONNE l’indépendance aux colonies.