La liberté d’expression

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La liberté d’expression

Étrangement, un courant paradoxal se dessine dans les législations pénales occidentales ; d’un côté, un vent nouveau de liberté souffle sur le droit européen, l’homosexualité est décriminalisée, c’est le proxénétisme qui est davantage réprimé et non le fait de se prostituer en lui-même (visant ainsi à démanteler des réseaux d’ordre mafieux plutôt que de harceler des femmes qui le sont déjà assez), la réhabilitation est privilégiée, une responsabilité des personnes morales s’est dégagée, ce qui est légitime étant donné l’essor que connaissent les entreprises et sociétés dans le monde moderne, et ainsi de suite ; d’un autre côté, les lois liberticides se sont multipliées, concernant notamment la liberté d’expression dont le champ, sous la pression du politiquement correct et de lobbys, a tendance à se rétrécir comme une peau de chagrin. Le parangon en est le Code pénal allemand, dont par exemple, la § 131, intitulé « Représentation de la violence » qui pénalise la dissémination ou la représentation publique de medias qui décrivent des actes cruels et inhumains à l'encontre d'autres êtres humains d'une manière qui glorifierait ces actes de violence. Cette section fut à l'origine de la confiscation de plusieurs films d'horreur et de certains jeux vidéo, comme Mortal Kombat ou Manhunt.

Chomsky a eu le malheur de faire la préface d’un livre de Robert Faurisson qui osait remettre en question certains points de la Seconde Guerre, et l’anathème populaire s’est aussitôt abattu sur lui. Le linguiste du MIT ne l’a fait non par adhésion aux thèses du livre mais pour défendre une chose que les Français devraient bien comprendre : la liberté d’expression ; comme il le dit lui-même : « Je ne traite ici qu'un sujet précis et particulier, à savoir le droit à la libre expression des idées, des conclusions et des croyances. Je ne dirai rien ici des travaux de Robert Faurisson ou de ses critiques (…) »

Les libertés d’opinion et d’expression, telles que protégées par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, interdisent l’instauration de délits d’opinion. En outre, la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une partie quelconque de la population » (CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni). De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu que « la liberté journalistique comprend aussi le recours à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation » (CEDH 26 avr. 1995, Prager et Obersclick c/ Autriche). Mais, en même temps, l’article 10 ne garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction, même en ce qui concerne la couverture médiatique de questions présentant un intérêt public sérieux. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 10, « l’exercice de cette liberté comporte des devoirs et des responsabilités qui s’appliquent aussi à la presse [...]. En raison des devoirs et responsabilités inhérents à la liberté d’expression, la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique » (CEDH 2 mai 2000, Bergens Tidende et autres c/ Norvège).

La notion de blasphème a été supprimée définitivement du droit français par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Néanmoins, la « provocation aux crimes et délits » reste sanctionnée (art. 23), de même que l'apologie de crimes contre l'Humanité ou l'incitation à la haine ou à la violence en raison de la religion (art. 24), ou la diffamation contre un groupe religieux (art. 32). D'autre part, des éléments blasphématoires sont interdits dans les publications destinées à la jeunesse (art. 14).

Outre-Atlantique, dans la décision Texas v. Johnson (491 U.S. 397) les juges de Washington ont estimé, le 21 mars 1989, que les règles de certains États fédérés fustigeant l'outrage au drapeau étaient inconstitutionnelles, car elles portaient atteinte à la liberté d’expression, reconnue et protégée par le Premier amendement de la Constitution fédérale américaine.

Quant au Flag Protection Act of 1989, il est resté à son tour sans effet en raison de son invalidation par la Cour suprême dans une décision United States v. Eichman du 11 juin 1990, qui a considéré le fait de brûler le drapeau comme une « expression symbolique » digne de protection ».

Critiquer un régime et un pays, quand bien même c’est son propre pays, fait partie des droits fondamentaux des individus, car oserions-nous critiquer un Allemand qui, durant la Seconde Guerre mondiale, aurait brûlé un drapeau avec la Croix gammée, car il critiquait la politique du Troisième Reich ?

N’oublions pas ce que le juge Oliver Wendell Holmes a dit dans United States v. Schwimmer (1929) : « The principle of free thought is not free thought for those who agree with us but freedom for the thought we hate. »

John Stuart Mill et son magnifique et ô combien moderne essai On Liberty, où l’utilitariste britannique, bien avant la Cour Suprême américaine, chante les louanges de la liberté d’expression, la seule qui différencie le civilisé du barbare. Il y a la « liberté », celle que les gens croient posséder parce qu’ils ont la possibilité de voter et de se faire asservir, cette sensuelle « servitude volontaire » dans les bras de laquelle nous aimons nous abandonner, et puis, il y a ce que Rimbaud appelait la « liberté libre », cette liberté si dangereuse car elle nous fait côtoyer « l’autre ». Mais comme le rappelle Hölderlin : là où est le danger est aussi ce qui sauve.

 

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